Après avoir scruté plusieurs études cliniques et longitudinales, des chercheurs canadiens concluent que la consommation à long terme d’édulcorants de synthèse est associée à une légère augmentation de poids, ainsi qu’à une incidence accrue d’obésité et de diabète.
L’industrie a rapidement réagi et nous avons joint l’auteure principale afin de lui donner la parole.
Le contexte
La consommation de produits contenant des édulcorants dits « intenses » ou « non nutritifs » comme l’aspartame, le sucralose, et les extraits de stévia ne cesse d’augmenter depuis plusieurs années. Des études suggèrent toutefois que ces édulcorants pourraient avoir des effets indésirables sur le métabolisme du glucose, le microbiote intestinal et le contrôle de l’appétit.
Une revue systématique étoffée
L’équipe de chercheurs a réalisé une revue systématique et une méta-analyse pour répondre à la question suivante : la consommation régulière d’édulcorants non nutritifs chez les adultes et les adolescents est-elle associée à des effets cardiométaboliques indésirables à long terme, comme l’obésité, l’hypertension, le diabète et le syndrome métabolique ?
Grâce à un protocole rigoureux de sélection, les auteurs ont retenu 7 essais cliniques contrôlés regroupant 1 003 participants obèses suivis pendant 6 à 24 mois, et 30 études longitudinales portant sur plus de 400 000 sujets suivis sur une période moyenne de 10 ans.
Une preuve qui n’est pas faite
Selon les chercheurs, les résultats des essais cliniques contrôlés n’établissent pas une preuve claire que les édulcorants non nutritifs sont efficaces au chapitre du contrôle du poids. D’autant plus, soulignent-ils, que les études rapportant les plus grandes pertes de poids ont été financées par l’industrie, ce qui jette un doute sur leur impartialité scientifique.
Les résultats des études longitudinales indiquent de plus que la consommation régulière d’édulcorants non nutritifs est associée à une augmentation du poids et du tour de taille, ainsi qu’à une incidence accrue d’obésité, d’hypertension, de diabète et d’accidents cardiovasculaires.
L’industrie s’insurge
Moins de 24 heures après la publication de cette étude, l’International Sweeteners Association (ISA) a publié un communiqué qui remet en question la sélection des études cliniques incluses dans la méta-analyse des chercheurs canadiens.
L’organisation affirme que « de nombreux essais sur l’homme ont systématiquement démontré que les édulcorants faibles en calories pouvaient être utiles pour le contrôle du poids lorsqu’ils étaient utilisés à la place du sucre, dans le cadre d’une alimentation équilibrée et d’un style de vie sains. » Une précision qui correspond à des « conditions idéales » ne ressemblant pas du tout au quotidien de 30 % des Américains qui consomment chaque jour des produits contenant des édulcorants non nutritifs, précisent les chercheurs canadiens.
But différent = résultats différents
« Le but de notre méta-analyse était justement de vérifier si les édulcorants avaient des effets à long terme sur la santé de la population et nous avons donc retenu des études d’au moins 6 mois », nous a précisé Meghan B. Azad, l’auteure principale, en entrevue téléphonique.
« Les édulcorants intenses peuvent se révéler utiles à court terme pour les personnes obèses qui veulent perdre du poids, mais des essais contrôlés de moins de 6 mois ne peuvent détecter les effets à long terme sur une population en santé, poursuit la chercheuse. Or, les études longitudinales, même si elles ne permettent pas d’établir un lien de cause à effet, montrent une association statistiquement significative entre la consommation régulière d’édulcorants et l’apparition de problèmes cardiométaboliques. »
Des études indépendantes ?
Le communiqué de l’ISA mentionne également qu’une récente méta-analyse (2016) est arrivée à des résultats positifs en matière de gestion du poids, mais ce travail a été entièrement mené par une équipe d’experts de la branche européenne de l’International Life Science Institute (ILSI). Or, l’ISLI, un lobby actif dans le monde entier, compte plusieurs membres qui sont des poids lourds de l’industrie agroalimentaire. L’autre méta-analyse mentionnée par l’ISA (2014) a été « révisée » par le même lobby.
« Ces méta-analyses n'étaient pas centrées sur les effets indésirables à long terme des édulcorants », rétorque Meghan B. Azad. De plus, l’étude canadienne cite deux méta-analyses (2015, 2014) établissant une association entre les édulcorants et le diabète, des travaux que le ISA se garde bien de mentionner.
Conclusion des chercheurs : la prudence est de mise, tant que les effets à long terme de ces édulcorants ne seront pas mieux connus et évalués de façon approfondie.
Sources :
Meghan B. Azad et collab. Nonnutritive sweeteners and cardiometabolic health: a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials and prospective cohort studies. CMAJ July 17, 2017 vol. 189 no. 28. doi: 10.1503/cmaj.161390.