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Même en plein air, la tendance est à l’inclusion universelle: les personnes à mobilité réduite ont désormais accès à la nature grâce à des équipements spécialisés et à des passionnés créatifs.
Denis Laliberté est paraplégique et hyperactif. Chaque fin de semaine, il découvre de nouveaux sentiers avec sa gang d’amis, grâce à un fauteuil adapté. L’ancien producteur laitier a gardé un lien étroit avec la nature, qui lui permet d’équilibrer sa vie. Plongée sous-marine, escalade, surf, planche à pagaie : ce touche-à-tout du plein air se réjouit d’avoir, aujourd’hui, à sa portée des équipements qui lui permettent de faire ce qu’il aime. « Il y a 5 ans, c’était impossible pour des personnes à mobilité réduite de se rendre sur un sentier, dit-il. Ils ne pouvaient même pas en rêver. Aujourd’hui, ils réalisent qu’ils peuvent le faire. » Ce chargé de projet à l’accessibilité universelle à la Ville de Victoriaville vit sa passion pour le plein air sans limites.
Le soutien d’une fédération
Être plus inclusive, c’est l’un des mandats que s’est fixés la fédération Rando Québec : « C’est l’un des axes principaux de notre plan stratégique pour les trois prochaines années, explique Grégory Flayol, directeur général adjoint de Rando Québec. Et cela concerne toutes les situations de handicap : les gens à mobilité réduite, mais aussi ceux qui souffrent de problèmes de santé mentale, de surdité ou de cécité, et qui restent très peu représentés dans le milieu de la randonnée. » L’été dernier, la fédération a d’ailleurs organisé une sortie dans le parc national de la Jacques-Cartier, dans un groupe qui incluait notamment une jeune femme handicapée à la suite d’un accident de voiture. « Voir l’émerveillement de cette femme qui retrouvait la nature après 20 ans d’absence, les parfums, l’eau, les arbres, tout ça nous a confortés dans notre obligation de faciliter l’accès à la nature pour toutes ces personnes », dit Grégory Flayol.
Une orientation encouragée par l’effervescence actuelle observée autour des équipements spécialisés.
De nouveaux équipements qui donnent des ailes
Depuis quelques années, une toute nouvelle variété d’équipements spécialisés émerge sur le marché : des fauteuils roulants adaptés, comme le Trackz Mobilty, unique au monde, conçu pour aller dehors, grâce à de grosses roues arrières cramponnées, sur le modèle des roues de vélo de montagne, une double suspension, et une roue avant pour maintenir la direction sur terrain sinueux. C’est l’un des fondateurs de l’entreprise québécoise, lui-même en situation de handicap, qui a dessiné le prototype de ce fauteuil pour répondre à ses propres besoins.
« La personne peut se mouvoir par elle-même et le confort est optimal, explique Hugo Lefebvre, copropriétaire de Trackz Mobility. C’est ce qui nous démarque des autres produits du marché. » Encore mieux : on peut fixer une option ski de fond à ce fauteuil, avec des planches en remplacement des roues, pour aller sur les pistes tracées ou, encore, un rack arrière pour y placer son fauteuil conventionnel et ainsi accéder à un refuge, par exemple. Décidément, on n’arrête pas l’innovation dans ce domaine. Depuis son passage à l’émission Dans l’œil du Dragon, cette année, l’entreprise a vendu 75 modèles avec différentes options, dont celle de l’assistance électrique. Avec un prix de départ de 6000 $ (et de 12 000 $ avec traction électrique), l’entreprise a eu l’idée d’organiser un sociofinancement, à même sa plateforme (Une petite poussée) pour aider à rassembler la somme nécessaire à son acquisition, grâce à l’implication d’un parrain ou d’une marraine de campagne. « Notre dernière campagne a permis de réunir 15 000 $ pour une cliente », précise Hugo Lefebvre.
En France, les fauteuils adaptés pour accéder à tous les types de sentiers de randonnée, même les plus escarpés, existent depuis des décennies, comme la Joëlette, ainsi nommée parce qu’elle a été conçue, dans les années 1980, par un certain Joël Claude, guide de montagne, pour son neveu handicapé. La Joëlette est munie d’une roue unique et de quatre manches, deux à l’avant et deux à l’arrière, qui permettent à deux personnes de guider l’appareil sur le sentier et de maintenir la stabilité de son occupant. « La personne à l’avant donne la trajectoire et indique les obstacles, explique Gilles Roure, chargé de la commercialisation de la Joëlette au Québec. La personne à l’arrière assure l’équilibre latéral et la verticalité du fauteuil. » Un dispositif permet, en outre, d’adapter la hauteur du guidon au dénivelé du sentier. « Ce travail d’équipe permet d’amener des personnes à mobilité réduite partout, même sur des sentiers comme l’Acropole des Draveurs », dit Gilles Roure. À quand des fauteuils du genre disponibles à la location dans les parcs nationaux et régionaux du Québec ? « Des discussions sont en cours », assure Gilles Roure.
Accessibilité sans limite
Grâce à ces équipements, la nature est désormais à la portée de tous. Parlez-en à Dominic Viénot et à ses associés qui lancent, cette année BivouaQ, la toute première agence de tourisme à l’attention, entre autres, des personnes à mobilité réduite et la première agence créée sur le modèle coopératif : « On travaille sur une approche résolument inclusive, explique Dominic Viénot, qui est aussi assistant-guide sur le terrain. On ne veut pas qu’il y ait deux mondes, celui des personnes handicapées et celui des autres [qu’il appelle avec humour les “moldus” en référence à l’univers d’Harry Potter]. Le plein air est une seule et même passion pour tous. » BivouaQ s’est d’ailleurs mérité, cette année, le prix Tourisme accessible décerné par l’Alliance de l’industrie touristique du Québec.
Leurs escapades, assistées par la Joëlette ou la Trackz Mobility, rassemblent d’ailleurs le tiers de personnes présentant un handicap – physique ou mental – et deux tiers de moldus pour vivre une expérience réellement inclusive. Au programme : immersion en pleine nature d’une ou de trois journées dans un des parcs du Québec avec nuit en camping et, même, une expédition de sept jours prévue l’an prochain au parc régional Kiamika, dans les Hautes-Laurentides. Des séjours nature plus lointains sont aussi à l’étude pour l’an prochain : Ouest canadien, Maroc, France et Bolivie. L’agence veut aussi être réceptive et accueillir des groupes de voyageurs internationaux au Québec.
Le Québec, comme le reste du monde, est rendu là : offrir l’accès à la nature à tous, même à ceux que la vie a malmenés un jour ou l’autre et qui ont, comme tout un chacun, besoin de cette nature si bénéfique à leur épanouissement.