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Visez Eau® a été lancé en mars dernier, à l’occasion de la Journée mondiale de l’eau. Objectif: normaliser la consommation d’eau potable non embouteillée et dénormaliser celle des boissons sucrées. Entrevue avec Michel Lucas, l’instigateur du projet et chercheur principal d’une étude qui sera menée dans une quarantaine d’écoles du Québec.
100 degrés: Quelle est l’origine du projet Visez Eau®?
Michel Lucas. Ce projet est issu d’une réflexion menée par une équipe multidisciplinaire d’experts. L’eau potable non embouteillée est un enjeu majeur à plusieurs égards. Actuellement, le succès de l’eau embouteillée repose sur le fait que les gens pensent qu’elle a meilleur goût que l’eau du robinet et qu’elle est plus saine : c’est archifaux! D’autant plus que l’industrie des boissons sucrées (Dasani/Coca-Cola et Aquafina/Pepsico) ne fait que commercialiser de l’eau du robinet filtrée qu’elle nous revend à un prix astronomique dans des bouteilles en plastique qui ont un impact néfaste sur l’environnement. Le but principal de VisezEau® se résume à ceci : normaliser l’eau potable non embouteillée comme seul liquide nécessaire à l’hydratation.
Voilà tout un contrat!
Le défi est grand en effet, mais si nous avons réussi à normaliser les espaces sans fumée, pourquoi ne pourrions-nous pas créer des environnements où l’eau du robinet non embouteillée s’impose comme le choix le plus facile et le plus agréable? C’est lorsque la lutte contre le tabagisme s’est aussi attaquée aux environnements, plutôt que de pointer seulement les fumeurs du doigt, que le dossier s’est mis à avancer plus sérieusement.
Par où comptez-vous commencer pour améliorer les environnements?
Nous avons obtenu un financement transitoire des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) pour élaborer la méthodologie de cette étude qui devrait être menée dans une quarantaine d’écoles primaires du Québec. Au cours de la première année, l’intervention sera déployée dans la moitié des écoles, puis, au cours de la seconde année, l’intervention aura lieu dans toutes les écoles. C’est ce qu’on appelle un design « stepped wedge cluster randomised controlled trial », car chaque école finira par recevoir l’intervention; cette approche améliore l’acceptabilité sociale de l’intervention, en plus de comporter des avantages méthodologiques et logistiques.
De quelle façon se déroulera l’intervention dans les écoles expérimentales?
Sur le plan des environnements favorables, nous allons installer des abreuvoirs modernes et attrayants munis d’un système de filtration, d’un refroidisseur et d’un dispositif de remplissage de bouteilles. Nous placerons également des fontaines dans les espaces de repas ou à proximité.
Sur le plan de la promotion de la consommation d’eau non embouteillée, nous donnerons à tous les participants une bouteille d’eau réutilisable et une carafe d’eau pour la maison.
Le volet éducatif intégrera, par exemple, les devoirs et des activités mises en place au service de garde. Le programme éducatif sera transversal et intégré aux objectifs ministériels : il mettra de l’avant l’importance de l’eau au chapitre des saines habitudes de vie et de l’environnement. L’organisme Croquarium sera responsable du volet apprentissage, expérimentation et éducation au goût de l’eau du robinet et de l’eau embouteillée, mais aussi des boissons sucrées.
Le volet sensibilisation sera nourri par la cyberplateforme. Les jeunes auront notamment accès à des vidéos interactives qui favorisent l’interaction enfants-parents. Le milieu familial est tout aussi important que le milieu scolaire si l’on veut intervenir sur les habitudes et les comportements. Voilà pourquoi une carafe est remise à la famille : elle renforce l’aspect comportemental de l’intervention.
Le volet cognitif portera sur les connaissances, les attitudes, les croyances et l’efficacité personnelle. La question de l’efficacité personnelle est un « fichu problème », car les messages de santé publique peuvent être décourageants plutôt qu’encourageants pour ceux qui sont très loin des recommandations comme celle du 30 minutes d’activité physique par jour. Une personne est plus susceptible d’adopter le comportement désiré quand elle sent qu’elle a suffisamment de connaissances et de compétences en la matière, et aussi qu’elle croit être en mesure de réaliser l’objectif. C’est la méthode des « petits pas ».
Comment allez-vous évaluer les effets de l’intervention?
Des mesures de la composition corporelle des enfants seront effectuées au début et à la fin de l’année scolaire : eau intracellulaire, eau extracellulaire, masse maigre, tissu adipeux. À l’aide d’un pictogramme affichant l’étendue du pourcentage d’eau dans le corps humain, l’enfant connaîtra seulement son pourcentage d’eau corporelle.
Des questionnaires validés documenteront notamment les habitudes alimentaires des enfants, leur consommation de liquides et celle de leurs parents, ainsi que leur activité physique, et leurs comportements sédentaires.
Où en êtes-vous dans le déploiement de l’étude?
Une commission scolaire s’est déjà engagée dans le projet et une deuxième devrait le faire en mai. Nous avons l’approbation du Ministère de la Santé et du Ministère de l’Éducation. La Fondation des maladies du cœur et de l’AVC du Canada nous soutient avec enthousiasme.
D’ici l’automne 2017, nous continuons à peaufiner le projet en collaboration avec plusieurs conseils d’établissement, écoles et parents. Si tout se déroule comme prévu, l’étude commencera au printemps 2018, lorsque les IRSC approuveront la demande de financement d’environ 3 M$.
Pour le moment, nous nous concentrons sur le milieu scolaire, mais nous sommes porteurs d’une philosophie d’une intention beaucoup plus large que ça. L’accès à l’eau potable est une profonde question de société, particulièrement au Québec et au Canada où nous nageons dans cette richesse tout en la protégeant bien mal de la cupidité de certaines entreprises. Il y a tellement à dire et à faire!
Site internet
Équipe multidisciplinaire travaillant sur le projet
* Michel Lucas est professeur agrégé au Département de médecine sociale et préventive, de l’Université Laval, chercheur au CHU de Québec — Université Laval, et chercheur invité de la Harvard T.H. Chan School of Public Health. Il est épidémiologiste et nutritionniste.
Fontaines du cégep Garneau à Québec/Élizabeth Michaud-Jobin