Depuis l’automne 2015, les médecins du Québec peuvent effectuer la prescription d’activité physique à leurs patients. Un peu plus de deux après l’adoption de cette initiative conjointe entre la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec et le Grand Défi Pierre Lavoie (une première mondiale !), 100° est allé à la rencontre de deux médecins de famille convaincues des bienfaits de cette pratique.
Miser sur la prévention
On en entend parler de plus en plus : il faut désormais voir la santé en termes de prévention autant qu’en termes de guérison. On sait que chaque dollar investi en prévention permet d’économiser un peu plus de 5 $ au système de santé.
C’est dans cette optique que la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec a décidé d’encourager la prescription d’activité physique par ses membres il y a deux ans. Faciles à adapter selon l’état de santé, le style de vie, les intérêts de chacun, ces ordonnances auparavant inusitées sont de plus en plus utilisées par les omnipraticiens.
La Dre Elizabeth Dougherty, qui pratique sur la Rive-Sud de Montréal, et la Dre Johanne Blais, qui pratique à Québec, prescrivaient déjà de l’activité physique à leurs patients avant septembre 2015. Elles sont ravies de voir que cette méthode est désormais en train de s’institutionnaliser.
L’atout principal des prescriptions sportives réside dans le fait qu’elles sont très concrètes, soutiennent-elles. De la même manière qu’on suivra les recommandations du médecin pour la prise d’un antibiotique aux 12 heures pendant 10 jours, si la pratique de la marche 3 fois par semaine est inscrite sur un papier — un objet matériel ! — on sera plus tenté de s’y soumettre.
Des cas précis
Toutes les maladies ne se soignent bien évidemment pas par l’activité physique. Mais plusieurs conditions médicales sont propices à ce type de médecine préventive. La Dre Elizabeth Dougherty cite en exemple l’hypertension, le diabète, et les maladies cardiovasculaires : « Souvent, les gens qui ont fait un infarctus pensent qu’ils ne peuvent plus faire d’activité physique. Alors qu’un exercice adapté pourrait prévenir un autre incident. »
La Dre Johanne Blais, elle, privilégie cette méthode pour les patients arthritiques ou qui sont sédentaires. Cela les pousse à réapprivoiser le sport malgré des douleurs ou la peur.
La Dre Dougherty souligne aussi la pertinence de la prescription d'activité physique pour des cas liés à la santé mentale. « Dans notre clinique, on voit beaucoup de gens aux prises avec de l’insomnie, de l’anxiété, ou la dépression, explique-t-elle. Faire de l’exercice va souvent améliorer leur sommeil. » À son avis, les gens qui souffrent de dépression et qui préfèrent ne pas prendre de médicaments seront particulièrement réceptifs à une prescription sportive.
Une « vraie » prescription
Concrètement, comment se passe une recommandation d’activité physique ? Les deux médecins sont formelles : il faut commencer par en discuter avec le patient. Pour les patients les plus motivés et décidés à s’y mettre, inutile de faire un papier.
La Dre Dougherty commence par demander aux patients ce qu’ils font déjà, puis elle ajoute, graduellement et tranquillement, des minutes de sport et des degrés de difficulté. « Par exemple, je peux leur demander de marcher une demi-heure, 3 fois par semaine. »
La Dre Johanne Blais, quant à elle, utilise les carnets de prescriptions reçus du Grand Défi Pierre Lavoie auprès de sa clientèle plus jeune. « Quand tu parles du Grand Défi avec des enfants, c’est une bonne porte d’entrée. Les plus jeunes ne sont pas difficiles à convaincre, c’est plutôt aux parents que je dois expliquer l’importance de l’activité physique. »
Pour les adultes, elle utilise les mêmes feuillets de prescription qu’elle utiliserait pour des médicaments. Aux fins de l’exercice, nous avons demandé à la Dre Blais de nous rédiger une prescription d’activité physique (voir photo). Les détails sont nombreux. Il s’agit d’un véritable programme d’entraînement par intervalles, niveau débutant.
En clair, pour le médecin, il s’agit d’officialiser par écrit une recommandation qui se faisait jusqu’à tout récemment de façon orale seulement. Dans le même esprit, la Dre Dougherty avoue même avoir commencé à faire des prescriptions destinées aux nouveaux parents pour… des sorties de couple, une fois par mois !
Des effets difficiles à mesurer
Le fait de quitter le bureau du médecin, un papier à la main, a-t-il une répercussion dans l’adoption de saines habitudes de vie chez les patients ? Cela reste à prouver. Les chiffres, pour l’instant, sont peu nombreux. C’est qu’il est difficile de talonner les personnes qui ont reçu de telles recommandations.
« Sur le lot, je dirais que j’ai moins de 50 % de réussite, estime la Dre Blais. Mais j’y crois tellement que je continue de le faire ! » Elle ajoute que les résultats sont plus probants pour les gens qui souhaitent perdre du poids ou mieux dormir, parce qu’ils sentent rapidement les effets de l’activité physique. Elle croit aussi que la popularité de la course à pied, dans les dernières années, a donné envie aux personnes plus sédentaires de s’essayer.
L’importance du kinésiologue
À notre étonnement, les deux médecins de famille, qui ne se connaissent pas, nous ont parlé de l’importance d’inclure la kinésiologie dans une démarche de prescription d’activité physique.
Pourquoi ? Parce que le kinésiologue peut aider à bâtir des programmes d’activités physiques pour les personnes qui ont subi des blessures. Il favorise le mouvement pour traiter et prévenir. En gros, il aide à surmonter les obstacles à la pratique du sport.
« Après avoir donné une prescription, explique la Dre Blais, je réfère à un kinésiologue. C’est majeur dans l’adoption de l’habitude sportive. » Elle a d’ailleurs dû attendre une quinzaine d’années avant d’intégrer un kinésiologue dans sa clinique de Québec.
La Dre Dougherty déplore quant à elle que les services de kinésiologie ne soient pas remboursés par la plupart des compagnies d’assurance.
Pour la suite : l’éducation
La Dre Dougherty et la Dre Blais croient toutes deux que les prescriptions d’activités sportives sont un outil dans l’éducation à la prévention. Car il faut encore faire de la sensibilisation, disent-elles. De la pub à la télé, à la radio, des discussions dans les médias…
« Il faut expliquer clairement et simplement la démarche de prévention au grand public, explique la Dre Dougherty. Si on disait par exemple : vous avez moins de chances de faire une dépression si vous faites du sport, on réussirait encore mieux à convaincre les gens. La prochaine étape, c’est d’expliquer pourquoi c’est important de bouger ! »
Pour en savoir plus sur l'importance de la promotion de l'activité physique, consultez notre article Une vision commune pour implanter une « culture » de l’activité physique au Québec.