Agriculture urbaine

Visite guidée de la plus grosse rue comestible au Canada!

Visite guidée de la plus grosse rue comestible au Canada!

Dans le quartier Centre-Sud de Montréal, sur un tronçon de rue fermé à la circulation automobile, s’étalent les 115 jardinières du jardin collectif La promenade des saveurs. Une centaine de mètres de chaussée qui produisent une cinquantaine de variétés de fruits et légumes et que 100º est allé visiter.

Laitues, kale, fines herbes, tomates, bettes à carde, aubergines, okras, épinards, fèves, pois, cerises de terre, basilic, épinards de malabar, concombres, tournesols, choux… la liste est si longue qu’Émilie Klein, chargée de projet de La promenade des saveurs, ne peut la réciter par cœur. Mais bien sûr, elle sait toutes les reconnaître puisque c’est elle qui a veillé à leur plantation.

Jardiniers de la chaussée

« Ce projet, imaginé par le Carrefour alimentaire Centre-Sud, nous l’avons commencé, un lundi matin, la deuxième semaine de juin, se souvient-elle. La rue était vide. J’ai commencé par disposer les pots de jardinage en géotextile (smart pot) selon le plan élaboré, tandis que des bénévoles se chargeaient de les remplir de terre. Armés de pelles et de brouettes, ils ont charrié au total 35 verges cubes de terre – deux camions ! Et au fur et à mesure que les jardinières se remplissaient, une autre équipe de bénévoles mettait les plans en terre, là encore selon des indications précises. Le vendredi, le jardin était planté ! »

Pour garnir chacune des jardinières, Émilie s’est basée sur les principes du compagnonnage. Une croyance, précise-t-elle, car nous n’avons pas de preuves scientifiques pour le démontrer, mais selon laquelle certaines plantes cohabitent ensemble mieux que d’autres, comme la tomate et le basilic ou encore l’oignon et la carotte. Et en général, il s’agit de variétés avec les mêmes besoins en eau.

« Nos jardinières sont regroupées en îlots, explique Émilie, parce que le système d’irrigation au goutte-à-goutte de chacun d’entre eux est contrôlé par son propre robinet. Les tuyaux principaux, qui sont reliés à la borne-fontaine, ainsi que les robinets, ont été posés par la ville, tandis que des bénévoles ont installé les tuyaux secondaires pour alimenter le système de goutte-à-goutte. Mine de rien, ça, c’était la partie vraiment la plus compliquée du projet. »

Évolution des mœurs

Jean-Philippe Vermette, directeur interventions et politiques publiques au Laboratoire sur l’agriculture urbaine (AU/LAB), et qui, sur ce projet, agissait à titre de conseiller stratégique, se rappelle bien les difficultés rencontrées lors de l’installation des tuyaux d’irrigation. Il souligne, au passage, le travail colossal accompli par l’équipe des travaux publics. « On a vu là des travailleurs à leur meilleur. Et pourquoi ils étaient à leur meilleur ? Parce qu’ils aimaient leur job. Et pourquoi ils aimaient leur job ? Parce qu’ils étaient en train de créer du beau ! »

C’est cette chimie improbable entre des employés de la Ville, tenus de respecter des protocoles souvent stricts, et les gens du communautaire que Jean-Philippe voudrait voir se reproduire un peu partout. Car, la collaboration entre les membres de la communauté et le municipal permet de réaliser des projets qui autrement ne verraient pas le jour ou qui ne connaîtraient jamais le même succès. « Selon la conception traditionnelle, explique-t-il, l’espace public appartient à la Ville. Et la Ville entretient elle-même ses espaces publics. Mais, ici, les responsabilités sont partagées. La communauté s’occupe de financer le projet, d’installer les jardins, de les entretenir, et la ville, en contrepartie, cède l’espace et fournit l’irrigation, le mobilier urbain, les bacs en bois. »

Pour et par les bénévoles

À raison de quatre séances de jardinage par semaine, supervisées par Émilie, ou sa collègue Mylène, des bénévoles viennent prendre soin de La Promenade des saveurs. « En échange de cette participation, explique Émilie, ils peuvent rapporter chez eux une partie de la récolte. Même que le jardin est trop productif : il dépasse les besoins des participants. Alors, dans certaines jardinières, on invite monsieur et madame tout le monde à cueillir les surplus. Le jardin contribue donc à fournir à la communauté des aliments sains et frais. D’ailleurs, nous sommes en train de rédiger un guide de cueillette pour que les jardiniers bénévoles deviennent autonomes. Un guide d’autorécolte qui pourra aussi servir aux glaneurs de passage. »

Cette réappropriation de l’espace public par la communauté crée une dynamique qui contribue à littéralement resserrer les liens sociaux. De fait, au beau milieu de notre visite, une demi-douzaine de dames, dans la fleur de l’âge, sont venues s’installer avec leurs chaises pliantes, leurs aiguilles à tricoter et leurs pelotes de laine. Toutes des bénévoles qui participent au projet Tricoter son tissu social. Chaque mercredi, ces charmantes personnes se réunissent et, pendant tout l’après-midi, échangent dans la bonne humeur et s’affairent à tricoter des foulards qui seront distribués aux personnes de la rue.

« Une telle scène aurait été impensable, il y a à peine quelques décennies, fait remarquer Jean-Philippe. Je l’ai bien connu ce quartier, à l’époque, et il était vraiment mal famé. La maison, à côté, c'était la piquerie du quartier. Tout se passait ici, à côté d'une école ! Mais, avec le temps, et beaucoup de patience, des organismes communautaires comme Carrefour St-Eusèbe, Notre quartier nourricier, Sentier urbain, Société écocitoyenne de Montréal et Carrefour alimentaire Centre-Sud ont apporté un vent de changement. J’appelle ça une “aura communautaire”. Et cet effort collectif, si ça s’est passé, ici, dans Ville-Marie, ça peut se passer partout ailleurs ! »

Preuve de concept

Le petit tronçon de la rue Dufresne était idéal pour se prêter à l’exercice. Bordé d’un côté par les cours arrière d’une église et d’une école, et de l’autre par un terrain de baseball, ainsi qu’une portion de terrain industriel, il ne comptait qu’une seule porte. Et sa propriétaire était favorable au projet. En fait, le jour, ce bout de rue servait essentiellement de stationnement gratuit pour des navetteurs de la rive sud.

D’autre part, depuis un certain temps, la Ville cherchait à remembrer ses pistes cyclables de manière à relier celle de la rue Fullum, parallèle à la rue Dufresne, avec celle qui court le long du parc de baseball. L’aménagement de la nouvelle voie cyclable de raccordement s’est donc fait en même temps que l’implantation de la Promenade des saveurs. « Notre projet tombait sous le sens, fait remarquer Jean-Philippe. Au lieu d’une piste cyclable et des chars stationnés, pourquoi pas une piste cyclable et un gros jardin ? »

À Montréal, il existe bien d’autres rues qui pourraient être autorisées à devenir des jardins productifs. Et le succès de La promenade des saveurs peut sans doute leur… « paver la voie ». C’est la raison pour laquelle AU/LAB souhaite réaliser une enquête afin de documenter ce projet pilote. Il est important de connaître la perception des gens qui fréquentent les environs, de mesurer leur degré de satisfaction. Et aussi de dresser la liste des contraintes inhérentes à de tels projets.

« Ce genre d’évaluation, explique Jean-Philippe, ça va nous aider à convaincre les décideurs que c’est pertinent de rendre permanente La promenade des saveurs. C’est la prochaine étape. Parce que, l’intérêt dans un projet comme le nôtre, c’est d’embellir un quartier sans créer de gentrification. Pour que le quartier devienne plus sécuritaire, plus agréable, plus beau. Et puis, faut l’avouer, c’est quand même une bonne idée : fermer une rue pour faire de la bouffe ! »

Communauté

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