Alors que Montréal vient tout juste de terminer une consultation publique sur le gaspillage alimentaire, d’autres villes à travers le monde ont d’ores et déjà amorcé leur transition vers la réduction des résidus organiques et démontrent l’importance de leur implication sur cet enjeu.
Si le gaspillage alimentaire était un pays, il serait le troisième plus grand émetteur de gaz à effet de serre avec 3,3 gigatonnes en équivalent CO2, estimait la FAO en 2013. Mais ses conséquences sont bien plus larges : réduction des ressources naturelles, dégradation de la biodiversité ou augmentation de l’insécurité alimentaire. Le tout entraîne un coût pour les producteurs, les transformateurs, les distributeurs, les commerçants et les consommateurs, bref l’ensemble de la société.
Le partage des bonnes pratiques
Particulièrement touchées par les enjeux climatiques et de sécurité alimentaire, les villes ont un rôle crucial à jouer dans la lutte contre le gaspillage alimentaire. C’est pourquoi elles sont de plus en plus nombreuses à s’unir autour de stratégies pour développer et partager de bonnes pratiques, que ce soit pour réduire le gaspillage alimentaire à la source ou pour valoriser les résidus alimentaires.
211 villes à travers le monde, y compris Montréal, se sont unies autour du Pacte de politique alimentaire de Milan, initialement signé par 45 villes en 2015, pour mettre en place des actions locales en faveur de systèmes alimentaires durables. Ces actions visent notamment la lutte contre le gaspillage alimentaire, en particulier via la sensibilisation du public, la collecte de données, la collaboration entre parties prenantes et la récupération des surplus alimentaires.
Agir localement contre le gaspillage alimentaire, c’est également l’ambition du C40, un réseau mondial des grandes villes qui luttent contre les changements climatiques. En 2019, quatorze d’entre elles s’engageaient plus précisément à réduire de moitié le gaspillage alimentaire d’ici 2030 par rapport à 2015 en adoptant de bonnes pratiques alimentaires.
Qu’elles aient choisi d’adhérer au Pacte de Milan ou au réseau C40, ou qu’elles agissent simplement de manière volontaire, les municipalités qui s’engagent dans une démarche de réduction du gaspillage doivent miser sur le développement de solutions multisectorielles et la mise en œuvre de mesures complémentaires les unes des autres.
Le principe du pollueur-payeur
La tarification incitative est l’une de ces solutions. Appliquée dans de nombreuses municipalités à travers le monde depuis plusieurs années, voire des décennies, la tarification incitative a fait ses preuves pour convaincre les citadins de changer de comportement. Son objectif : réduire le gaspillage alimentaire à la source, tout en favorisant le tri des résidus organiques pour mieux les valoriser.
À Séoul par exemple, les résidents payent pour les déchets organiques qu’ils produisent. Ils ont ainsi l’obligation de déposer leurs résidus alimentaires dans un sac qu’ils achètent à cet effet et dont le prix internalise en partie le coût de la collecte et du traitement de ces déchets par les services de la ville. Concrètement, ce prix est suffisamment élevé pour inciter les foyers à réduire leur volume de déchets. Séoul a en outre déployé dans ses rues des poubelles intelligentes qui permettent de peser les résidus organiques et de les payer en fonction de leur poids via une carte à puce. À elles seules, ces poubelles auraient permis de réduire le gaspillage alimentaire de 47 000 tonnes en six ans.
Donner aux banques alimentaires
De nombreuses villes mettent également en place diverses mesures pour encourager les dons des commerces et autres entreprises alimentaires aux organismes caritatifs. À Milan par exemple, la municipalité offre aux donateurs une réduction de 20 % sur la taxe des déchets. Un tel allégement aurait permis la récupération de près de 600 tonnes de denrées au cours de la première année, selon les estimations de la ville. La ville de New York facilite quant à elle les dons par la mise en place de la plateforme donateNYC. L’une des particularités de cette plateforme, c’est qu’elle permet de connecter directement les donateurs et les bénéficiaires d’un même quartier et d’assurer ainsi une logistique de proximité des dons, de manière à éviter le gaspillage alimentaire. Mise en place en 2019, cette plateforme aurait permis de détourner 4,5 tonnes d’aliments de sites d’enfouissement au cours des six premiers mois.
En France, la ville de Courbevoie, en banlieue parisienne, vient d’innover avec la charte municipale contre le gaspillage alimentaire qui s’adresse à tous les supermarchés de la ville, quelle que soit leur taille. L’idée est de bonifier à l’échelle de la municipalité la loi relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire qui, depuis 2016, oblige sur tout le territoire français les commerces alimentaires de plus de 400 m2 de faire don de leurs denrées. En signant cette charte, les épiceries de la ville s’engagent notamment à entreprendre des opérations de sensibilisation, à allonger les dates de péremption de produits et à donner leurs surplus aux organismes caritatifs, en contrepartie de quoi la municipalité les aide à faire le lien avec ces organismes. C’est une première étape pour Courbevoie, qui espère rapidement proposer cette charte à d’autres commerces et institutions de la ville, les boulangeries et les restaurants collectifs par exemple.
L’approche participative
Tout aussi innovante, la ville de Bruges en Belgique a créé un « Food Lab », sorte de conseil de l’alimentation durable qui réunit les acteurs locaux en vue de cocréer une stratégie en la matière, et notamment sur le gaspillage alimentaire. La municipalité a par exemple concentré ses efforts sur les établissements de santé qui produisent 30 à 40 % de gaspillage alimentaire. Pour ce faire, elle a collaboré avec les professionnels du secteur, soit le personnel des cuisines, les infirmières, les nutritionnistes, les membres de direction et même des patients de quatre établissements de la santé pour définir ensemble des solutions.
Résultat : ces établissements de santé ont réussi à réduire leur gaspillage alimentaire de plus 27 000 kg en un an, en améliorant par exemple la communication des infirmières avec le personnel de cuisine pour pouvoir servir aux patients des repas encore chauds. Un succès qui amenait la municipalité à diffuser ensuite les solutions testées et approuvées sous forme d’un guide destiné à l’ensemble des établissements de la santé à Bruges.
Sensibiliser et informer
En impliquant directement les parties prenantes locales, l’approche participative offre un autre avantage : elle les sensibilise directement aux impacts du gaspillage alimentaire. La sensibilisation du public et des acteurs locaux est d’ailleurs le dénominateur commun à toutes les villes qui s’engagent dans la lutte contre le gaspillage alimentaire. Elle accompagne les mesures que mettent en place ces villes, et prend diverses formes, que ce soit des guides, des ateliers, des campagnes d’information. Un bel exemple : le jour de la pomme de terre, organisé par onze municipalités aux Pays-Bas. L’objectif de cet événement était d’informer la population des surplus alimentaires générés par la fermeture des nombreux restaurants collectifs et autres festivals pendant la pandémie. Pour symboliser ce gaspillage alimentaire, plus de 100 000 kg de pomme de terre ont été déposés en gigantesques tas sur les places publiques. Vendues au rabais, ces pommes de terre ont rapidement attiré les citoyens : une belle occasion de les informer sur le gaspillage alimentaire et d’ouvrir le dialogue sur les changements nécessaires à faire pour améliorer le système alimentaire. Autant d’illustrations qui démontrent le rôle fondamental des villes dans la lutte contre le gaspillage alimentaire.
Ce sujet vous intéresse ?
Consultez également les articles suivants:
- Agriculture urbaine: des projets qui changent le monde
- Lutter contre l’insécurité alimentaire: les initiatives inspirantes de 5 MRC québécoises
- Autonomie alimentaire: 20 solutions pour manger local en milieu rural
- 15 groupes d’aliments scrutés à la loupe pour leurs effets sur la santé humaine et planétaire
NDLR: Veuillez noter que toutes les photos utilisées dans cet article ont été prises avant la pandémie de COVID-19 et le début des mesures sanitaires.