Pour le plus grand bien de notre santé collective, tant humaine qu’environnementale, les initiatives d’agriculture urbaine foisonnent comme de petits fruits mûrs, aux quatre coins du Québec. Pour contribuer à l’essor de ce mouvement, 100° vous invite à découvrir les Urbainculteurs, une organisation au parcours exemplaire bien enracinée dans la Capitale-Nationale. Dans ce premier texte, Rosalie Beaucage nous raconte comment les Urbainculteurs ont développé leur modèle d’affaires pour atteindre l’indépendance financière tout en demeurant fidèles à leur mission d’origine.
Nés à Québec en 2009, Les Urbainculteurs ont pour mission de développer et promouvoir une agriculture urbaine productive, écologique et accessible, au service des organisations et des citoyen.es, afin qu’ils cultivent davantage la ville et nourrissent sainement leur communauté. Notre équipe, qui compte environ 10 employé.es en haute saison, se doit d’être polyvalente, puisqu’elle partage son temps entre travaux d’horticulture, de maraîchage ou de menuiserie, en plus de présenter des conférences, d’offrir des services-conseils et d’animer des baladodiffusions. Après dix ans à cultiver la ville, nos efforts nous ont permis d’avoir aujourd’hui une ligne d’action plus que jamais cohérente avec nos valeurs.
Travailler pour atteindre une indépendance financière
À la direction générale des Urbainculteurs depuis 2016, Johann Girault possède un baccalauréat en agronomie ainsi qu’un MBA en responsabilité sociale et environnementale des organisations. C’était la personne toute désignée pour prendre les rênes des Urbainculteurs, qui, bien qu’enregistré en tant qu’OBNL, oscille entre organisme communautaire et entreprise d’économie sociale par son fonctionnement. « On fait autant partie du Pôle d’économie sociale que de la Chambre de commerce et d’industrie de Québec, explique Johann. On navigue là-dedans et ça ne nous cause pas de problèmes. » En effet, notre revenu annuel est majoritairement issu de contrats d’aménagements comestibles avec des entreprises privées ou des organismes. Les profits générés par ces contrats sont ensuite réinvestis dans notre mission. Ils servent à donner naissance à des projets à caractère social ou éducatif comme les Jardins du bassin Louise, notre ferme maraîchère située au centre-ville de Québec ou encore notre Mâche-patate, un podcast destiné aux passionnés d’agriculture urbaine.
Cette façon de faire puise son origine dans la volonté des Urbainculteurs de développer une plus grande autonomie face aux subventions gouvernementales. Selon Johann, notre fonctionnement nous permet de réaffirmer notre désir d’innovation : « Ça nous oblige à être tout le temps sur le qui-vive. On ne peut pas être assis sur nos lauriers, puis attendre que les subventions tombent du ciel. Il faut faire du démarchage, il faut qu’on se demande si on est concurrentiels, si on se présente bien face à un client. Il faut se remettre en question sur toute notre approche marketing ».
Mais baser ses revenus sur des contrats avec le domaine privé apporte aussi son lot de fragilités. Dans le contexte de la crise actuelle qui fera mettre la clé sous la porte à plusieurs commerces, c’est l’accès précieux aux subventions qui nous permet de poursuivre nos activités. Comme le rappelle Johann, « le plus logique est que notre ADN soit celui d’un OBNL puisque notre mission et nos activités sont entièrement destinées à servir la communauté. »
Rester fidèle à ses valeurs en misant sur une approche par projet
Aux Urbainculteurs, on priorise une approche par projet qui demande flexibilité, rigueur et imagination. Au cours de notre dernière planification stratégique, notre équipe a convenu qu’il était nécessaire de se doter d’une charte des valeurs claire afin d’éviter de nous investir dans des initiatives qui s’éloignent trop de nos objectifs. Lors de la première rencontre avec un client, Vicki (coordonnatrice aux opérations) et Johann évaluent la compatibilité entre les besoins de ce client et notre vision. Par exemple, des offres de contrats d’aménagement ornemental qui n’ont pas de visée éducative ou qui ne rapportent pas de bénéfices à la population sont redirigées vers d’autres compagnies ou organismes mieux outillés pour répondre à ces besoins. Désormais, si on constate que des légumes sont perdus par manque d’implication du client « on se donne le droit de [les] récupérer pour les donner à la sécurité alimentaire », affirme Johann. Choisir nos projets en fonction de nos valeurs est possible après dix ans de travail acharné qui nous ont permis de nous tailler une place sur le marché et de nous ancrer dans le paysage urbain. « Ça demande d’être stricts et courageux », reconnaît Johann. En effet, croire que les contrats continueront de venir même si on refuse ce qui n’a pas de sens pour nous demande une bonne dose de confiance…
Ironiquement, la crise sanitaire qui nous a fait craindre le pire (la fermeture) au printemps 2020 a plutôt révélé dans quelle mesure le maintien de notre alignement sur notre mission nous a permis de nous affirmer au sein de notre communauté. Ventes en ligne inégalées, appui des citoyens, soutien de la Ville de Québec malgré des circonstances économiques difficiles dans le démarrage des Jardins du bassin Louise... Plus que jamais, on sent que nos actions ont une portée et que l’agriculture en milieu urbain trouve appui au niveau des institutions. « Étant donné que notre projet fait du sens, la ville réalise à quel point notre organisme rend service à la communauté de Québec et pour eux c’était inimaginable de nous laisser tomber, constate Johann. Finalement c’est ça qui nous sert dans le fait de respecter notre mission et de toujours se dire qu’il faut que ça fasse du sens, que ça serve à la population. Ça finit par payer dans des circonstances comme celles-là... Les gens tiennent à nous et on se sent soutenus. »
Tout laisse présager un futur florissant pour l’agriculture urbaine. En attendant d’attaquer la saison prochaine, notre équipe va profiter de cette période de dormance pour prendre du repos et revenir en force pour un treizième été à cultiver la ville.