La taxe sur les boissons sucrées représente, pour ses défenseurs, une mesure souhaitable en matière de santé publique, alors que pour certains opposants, elle est inéquitable et brime les libertés individuelles. Un rapport de l’INSPQ se penche sur ces enjeux éthiques.
Invoquer l’efficacité d’une taxe sur les boissons sucrées afin de justifier son instauration ne dispense pas pour autant d’en évaluer la portée éthique. D’un côté, de nombreux organismes gouvernementaux et internationaux, dont l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), considèrent qu’il s’agit de la meilleure stratégie pour prévenir la surconsommation de sucre. On envisage même que son caractère dissuasif, sur le plan économique, puisse aussi le devenir sur le plan normatif. Autrement dit, la consommation excessive de boissons sucrées ne bénéficierait plus, à terme, de la même acceptabilité sociale.
D’autre part, plusieurs raisons sont alléguées pour s’opposer à une taxe sur les boissons sucrées, la plupart d’entre elles provenant d’ailleurs des fabricants eux-mêmes. Cependant, d’un strict point de vue éthique, deux d’entre elles ont retenu l’attention de l’INSPQ. D’une part, cette taxe est perçue comme émanant d’un État paternaliste puisqu’elle porterait ainsi atteinte à la liberté de choix des individus. D’autre part, en raison de son taux fixe, on reproche à la taxe son caractère régressif[1] puisque son impact est beaucoup plus considérable sur les ménages à faibles revenus.
Tension des valeurs
Dans son rapport, l’INSPQ a donc identifié les principales valeurs qui s’affrontent dans ce débat.
- Autonomie : la capacité de faire des choix pour soi-même.
- Liberté : l’exercice de ses choix sans contraintes.
- Bienfaisance : la volonté d’améliorer la santé de la population
- Non-malfaisance : le désir de ne pas causer de problèmes de santé ou de ne pas porter atteinte au bien-être de la population.
- Équité (justice sociale) : l’équilibre dans le traitement des personnes affectées par la mesure, en fonction des besoins des personnes concernées, dans le but de réduire les inégalités sociales de santé.
- Efficacité : la capacité de la mesure proposée à atteindre ses objectifs.
Essentiellement, explique le rapport, il importe ici de concilier les valeurs d’autonomie et de liberté avec leur opposée : la bienfaisance, de même que les valeurs de non-malfaisance et d’équité avec leur opposée : l’efficacité. Deux oppositions, donc, qui soulèvent deux thèmes : le paternalisme et la régressivité.
Après un examen minutieux de ces nombreux enjeux, le rapport conclut : « Dans l’ensemble, la taxe semble faire preuve d’un paternalisme mesuré, mais justifiable, et son caractère régressif paraît surmontable, notamment dans la mesure où la taxe se voit encadrée par des interventions compensatrices. »
Une mesure justifiable
En 30 ans, au Québec, rappelle l'INSPQ, les taux d’obésité ont presque doublé chez les adultes et plus que doublé chez les enfants. Ces augmentations sont largement attribuables à la surconsommation de sucre. Or, au Canada, les boissons gazeuses et les boissons aux fruits représentent la première source de sucres ajoutés dans l’alimentation. Cela est entre autres attribuable au fait que les boissons sucrées sont facilement accessibles et que leurs prix augmentent moins vite que ceux des autres aliments et boissons. Comme le souligne le rapport : « La disponibilité et le coût des aliments ont un effet significatif sur la probabilité d’un achat alimentaire ».
C’est pour ces raisons que, par exemple, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) prône l’imposition d’une taxe d’accise (bien visible pour le consommateur) sur les boissons sucrées afin d’en réduire la consommation. Une telle mesure se justifie de plusieurs manières, explique le rapport de l’INSPQ. En plus d’envoyer un signal dissuasif au consommateur, la taxe devient un incitatif pour que les manufacturiers reformulent leurs produits. À terme, souligne le rapport, on peut envisager que la taxe puisse servir à infléchir la norme, bien que ces changements, qui portent sur le long terme, soient difficiles à évaluer dans l’immédiat.
Faisabilité et acceptabilité sociale
Au Québec, certaines boissons non alcoolisées sont déjà considérées comme des produits alimentaires taxables. C’est le cas des boissons gazeuses qui se voient imposer la taxe de 5 % sur les produits et services (TPS) et la taxe de vente du Québec (TVQ) à 9, 975 %. À cela s’ajouterait donc une taxe d’accise, comme le préconise l’OMS. Donc, une taxe indirecte dont l’avantage est d’avoir un impact plus facilement perceptible par le consommateur. D’où son caractère dissuasif non négligeable.
L’INSPQ rappelle, à ce chapitre, que les recherches effectuées démontrent l’efficacité d’une telle taxe. Ainsi 74 % des études recensées ont permis de noter une diminution de la consommation des boissons sucrées. D’autre part 78 % d’entre elles ont rapporté un impact sur le poids. Enfin, 100 % ont montré un effet sur le nombre de calories consommées.
Toutefois, aussi efficace soit-elle, et une fois que seront clarifiées ses modalités d’application dans le cadre de la loi constitutionnelle canadienne, l’instauration d’une telle taxe dépend pour beaucoup de son acceptabilité sociale. Or, dans un sondage mené pour le compte de la Coalition québécoise sur la problématique du poids (CQPP) en 2010, 77 % des Québécois se disaient justement favorables à la mise en application d’une taxe spéciale sur les boissons sucrées dans la province.
Taxer pour mieux subventionner
Les manières de réinvestir les sommes perçues par le truchement de la taxe peuvent contribuer à son acceptabilité sociale[2]. L’une des avenues les plus souvent proposées consiste à utiliser une portion des revenus générés pour subventionner les fruits et les légumes frais ou encore l’eau embouteillée. Mais, dans certains contextes, il semble préférable, comme c’est le cas à Philadelphie, de financer des mesures concrètes et équitables qui profitent à l’ensemble de la communauté plutôt que de promouvoir des arguments en faveur de la santé de la population générale.
Pour lire le rapport
[1]Le caractère régressif de la taxe offre un bel exemple de cette tension des valeurs. Car, comme le souligne le rapport, si la taxe, par la contrainte financière qu’elle exerce, réduit plus encore la consommation de boissons sucrées chez les moins nantis, alors on peut estimer que cette tranche de la population est celle qui profite le plus des effets bénéfiques de la taxe sur la santé. (NDLR Une étude portant sur les 2 premières années de la taxe mexicaine 1 peso montre en effet une diminution plus marquée de la consommation dans les ménages les moins nantis.)
[2]Le rapport fait aussi mention de l’argument économique en vertu duquel la taxe sur les boissons sucrées est aussi un reflet des coûts sociaux et environnementaux que génère la vente de ces produits.