Santé et société

Compétences socioémotionnelles des jeunes: les écoles appelées à la rescousse

Compétences socioémotionnelles des jeunes: les écoles appelées à la rescousse

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Le développement de compétences sociales et émotionnelles, dès le plus jeune âge, est primordial pour favoriser le bien-être global. Milieu de vie important, l’école offre un environnement de choix pour développer ces compétences. Le déploiement de programmes et de stratégies, qui en est à ses balbutiements, connaît un accueil variable.

Le Plan d’action interministériel en santé mentale 2022-2026 confirme l’importance de promouvoir la santé mentale dans les milieux scolaires et de développer les compétences socioémotionnelles des jeunes afin « qu’ils puissent développer une bonne estime de soi et leur autonomie ainsi que recourir à des stratégies efficaces de gestion du stress, de résolution de problèmes, d’habiletés sociales et de communication interpersonnelle ».

Afin de soutenir le développement et l’acquisition de ces habiletés et compétences, le MEQ et le MSSS, en partenariat avec l’Institut national de santé publique du Québec, ont mis sur pied le référent ÉKIP. Cet outil « s’inscrit dans la continuité des travaux de l’approche École en santé pour guider les établissements scolaires dans l’analyse, le choix et la planification des actions de promotion de la santé et de bien-être adaptées aux besoins des jeunes », stipule le document.

Psychologue et professeure à la Faculté des Sciences de l’éducation de l’Université Laval, Claire Beaumont salue cette initiative. « Les élèves qui participent à des programmes ou qui ont des compétences socioémotionnelles développées sont plus engagés, plus motivés, réussissent mieux à l’école et ont une meilleure santé mentale. Ils sont aussi plus prosociaux, sont moins enclins à la violence et à l’agressivité », précise Mme Beaumont, également titulaire de la Chaire de recherche sur le bien-être à l’école et la prévention de la violence.

Dans le milieu, on parle plus communément d’apprentissage socioémotionnel (ASÉ), souligne l’experte. Concrètement, il s’agit d’un processus où l’on apprend à développer des habiletés pour identifier, comprendre et gérer les émotions, entretenir des relations positives avec les autres, adopter des attitudes et comportements appropriés et prendre des décisions responsables. On apprend sur soi, sur l’autre, sur son milieu, et ce, tout au long de la vie. Le concept a été popularisé par un groupe d’experts américains via l’organisme Collaborative for Academic, Social and Emotional Learning (CASEL). Ces compétences ne sont pas innées et s’apprennent, tout comme le français et les mathématiques, plaide Claire Beaumont, mais encore faut-il savoir comment.

Les clés du succès de l'apprentissage socioémotionnel

Pour développer les compétences socioémotionnelles des jeunes, il faut d’abord établir des conditions gagnantes d’apprentissage. L’enseignement doit être explicite, c’est-à-dire qu’on doit définir et cibler des compétences à travailler à des moments clés, par des activités comme des jeux des rôles. L’enseignement doit également être intégré dans le curriculum scolaire, en référant par exemple à la littérature jeunesse. « La troisième clé est de pratiquer au quotidien les compétences en situations réelles. Si ce n’est pas présent dans les routines, si ça ne revient pas continuellement à l’esprit, c’est perdu d’avance », soutient Claire Beaumont.

Elle insiste : l’adulte qui enseigne l’ASÉ doit luimême avoir des compétences socioémotionnelles adéquates. Selon ses travaux, autour de 10 % des enseignants ne répondent pas à ces exigences et manifestent des comportements négatifs. Ceux-ci adoptent des stratégies agressives, sont moins créatifs et manquent de respect envers les collègues. « Dans les 10 dernières années, on a vu de petits gains en ASÉ chez les jeunes. Mais du côté des adultes, c’est resté stable. Si on met beaucoup d’efforts à améliorer les comportements des jeunes, mais qu’on ne prend pas en compte le modèle que présentent les adultes, on se tire dans le pied », indique Mme Beaumont. Le lien avec un enseignant, qui doit être un modèle positif, est primordial.

Plusieurs enseignants rechignent à intégrer l’ASÉ dans leur classe. Par manque de temps, par surcharge de travail et par manque de formation. « On développe de magnifiques outils, comme le référent ÉKIP. On explique ce qui doit être développé, mais pas le comment, déplore Claire Beaumont. C’est à l’université que revient ce rôle, mais il n’y a pas de signal clair à cet effet. » Le cursus universitaire de premier cycle fait très peu (ou pas du tout) de place à l’ASÉ selon les facultés. Le personnel doit apprendre à la va-vite, sur le terrain. « Ils n’ont pas le temps de se préparer et se sentent incompétents. » L’ASÉ doit venir avec une obligation et avec la formation du personnel, soutient la professeure.

Ne surtout pas négliger les adolescents

À ce jour, l’ASÉ est enseigné aux élèves de façon aléatoire, selon les écoles et la volonté des gens en place. Pour Claire Beaumont, l’ASÉ devrait être enseigné sans exception à tous les élèves du primaire et du secondaire. « Avec l’anxiété qui monte, les jeunes doivent apprendre à prendre soin d’eux. Le cerveau des adolescents est en pleine effervescence, la communication est extrêmement rapide entre les neurones. Leur cerveau travaille à intégrer les apprentissages et les expériences vécues. C’est une période d’étayage, de remodelage. Il n’est pas trop tard, au contraire. » Il y a des besoins importants, chez les petits et les grands, et pas que pour les élèves en difficulté, précise-t-elle. « Tout se joue avant 6 ans, pensez-vous? Ce n’est pas vrai! On traite les ados comme des adultes et on pense qu’il est trop tard pour l’ASÉ, alors que les besoins sont encore plus criants. »

Alors qu’elle était présidente de l’Association des médecins psychiatres du Québec, la Dre Karine Iguarta a lancé en 2019 le mouvement Alphas Connectés. Forte de nombreux appuis, elle a demandé l’instauration de cours d’éducation à la santé mentale, de la maternelle au secondaire 5. « Les demandes d’aide sont grandissantes. On doit agir à la source, sinon on sera toujours à la remorque, dit-elle. Oui, il existe des programmes axés sur la santé mentale, mais il n’y a pas de porteur de ballon. Qui est responsable? Les enseignants n’ont pas tous cette compétence émotive et n’ont pas reçu de formation en ce sens. » Elle souhaite une prise de conscience collective face à l’utilisation des écrans, à la hausse de détresse psychologique chez les jeunes et à l’écoanxiété. « On doit outiller les jeunes le plus tôt possible et leur apprendre à comprendre les émotions, à gérer leurs relations, à demander de l’aide. »

Malgré les limites actuelles, Claire Beaumont se réjouit de voir un nombre grandissant d’écoles intéressées par l’ASÉ et ouvertes à se mettre dans l’action à leur échelle, selon leurs moyens et leurs priorités. Le Plan interministériel en santé mentale 2022-2026 souhaite contribuer à ces efforts et prévoit une enveloppe de 25 millions de dollars par année (via les directions de santé publique) pour déployer le Projet Épanouir. Ce projet vise la mise en œuvre d’actions de promotion de la santé mentale et de prévention, directement auprès des jeunes, mais également dans les différents milieux de vie où ils évoluent (à l’école, auprès des familles et dans la communauté). Le financement permet l’embauche d’agents de planification, de programmation et de recherche, ainsi que de conseillers en promotion et en prévention de la santé qui accompagnent les milieux scolaires et offrent du soutien de proximité aux écoles secondaires. Il vient aussi soutenir des activités de formation tant pour les équipes-écoles que les partenaires des milieux scolaires, en plus de permettre l’élaboration de matériel contribuant au développement et au maintien d’une santé mentale positive de tous les jeunes, incluant les plus vulnérables.

En somme, le projet, basé sur les principes du référent ÉKIP, est axé sur le développement de compétences personnelles et sociales chez les jeunes et la création d’environnements favorables à la santé mentale. Un cadre de référence est disponible pour soutenir les directions de santé publique dans la mise en œuvre du projet et pour informer les partenaires, dont les milieux scolaires en priorité, afin que tous aient une vision commune du projet. « Les écoles sont prêtes, le besoin est présent. Il faut donner le temps », conclut Claire Beaumont.

classe primaire renforcement positif

« On doit outiller les jeunes le plus tôt possible et leur apprendre à comprendre les émotions, à gérer leurs relations, à demander de l’aide. »

Dre Karine Iguarta

Dans tous les milieux de vie

Si le milieu scolaire est le pilier de l’ASÉ, on ne doit pas oublier que tous les milieux de vie doivent être considérés dans la démarche (dont les familles, le milieu communautaire) afin d’offrir des conditions favorables à l’épanouissement des enfants de façon intégrée et cohérente.

Littératie, intelligence et compétences émotionnelles

Comment peut-on distinguer les compétences, l’intelligence et la littératie émotionnelles? Les professeurs Joanne Pharand et André C. Moreau, de l’Université du Québec en Outaouais, précisent dans la revue Psychologie préventive que les émotions se trouvent au cœur de ces trois concepts. « Les compétences émotionnelles relèvent des savoirs, savoir-faire et savoirêtre. L’intelligence émotionnelle favorise la réflexion et l’analyse. La littératie émotionnelle permet de faire une lecture des émotions ressenties et vise une meilleure compréhension et régulation émotionnelles. » La littératie émotionnelle est un concept récent qui se traduit par « la capacité d’identifier ses émotions et celles des autres, de leur accorder de l’importance, de tenter de les comprendre et d’ajuster ainsi ses comportements ».

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Pour poursuivre votre lecture sur le sujet, consultez notre dossier spécial « La santé mentale des jeunes : l’affaire de tous », appuyé par les statistiques les plus récentes ainsi que des entrevues avec plusieurs experts. Notre équipe de rédaction y décortique le concept de « santé mentale positive », qui fait l'objet d'un intérêt croissant depuis quelques années. Une attention particulière est également portée à deux problématiques des plus actuelles: l'utilisation des écrans et l'écoanxiété.

Ce dossier spécial invite également les lecteurs à faire connaissance avec trois personnes qui, chacune à leur manière, ont créé des programmes exceptionnels et innovants pour encourager le bon développement et le bien-être des jeunes:

  • Mary Gordon, fondatrice du programme scolaire international Roots of Empathy/Racines de l’empathie
  • Jean-Philippe LeBlanc, fondateur de l'organisme Face au vent et du programme H(être)
  • Martin Dusseault, fondateur et coordonnateur du programme Bien dans mes baskets


Une grande série d'initiatives inspirantes, au Québec ou ailleurs, y sont également présentées pour encourager le passage à l'action, dans les différents milieux de vie.

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