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Les femmes, que ce soit dans les espaces publics, les rues, les parcs ou les transports collectifs, sont souvent confrontées à des dangers, réels ou perçus, et auxquels la plupart des hommes demeurent indifférents, quand ils n’en sont pas eux-mêmes la cause. C’est dire que la moitié de la population est privée d’une partie de ses droits fondamentaux, à savoir : la possibilité de se déplacer librement dans les espaces publics et semi-publics sans crainte de harcèlement sexuel ou de violence, à toute heure du jour ou de la nuit. Nos villes seraient-elles sexistes ?
La chercheuse Kate Jelly, spécialisée dans les identités de genre, écrivait récemment dans les pages de The Guardian, que les pistes cyclables britanniques, à l’instar des espaces publics en général, sont souvent aménagées pour répondre aux besoins des hommes - les hommes blancs, cisgenres, hétérosexuels. Autrement dit, et par défaut, les villes seraient hostiles aux femmes ! Mais encore…
Aménagement urbain sexiste ?
Bien réelle, cette iniquité de genre procède d’un lourd héritage puisque, dans les sociétés occidentales, en particulier, les villes étaient construites par et pour les hommes. Qu’on y songe ! Il y a encore quelques décennies à peine, les hommes occupaient presque tout l’espace public, alors que les femmes, confinées à la maison, demeuraient captives de leur sphère privée. Or, malgré le fait que les femmes aient depuis massivement accédé au marché du travail, elles ne jouissent toujours pas des mêmes privilèges que les hommes dans les espaces publics.
Et les femmes ne sont pas les seules dans cette situation. Les expériences de harcèlement, de violence ou de négligence touchent aussi les populations marginalisées, que ce soit en raison de leur appartenance culturelle, de leur handicap, de leur identité de genre, voire de leur âge. Autrement dit, et par défaut, ou selon une perspective intersectionnelle, les villes seraient hostiles à ceux et celles qui ne sont pas des hommes blancs, cisgenres, hétérosexuels…
Le transport en commun masculin ?
Bien que, en majorité, les femmes ayant accédé au marché du travail se soient émancipées et aient acquis une plus grande indépendance financière, elles demeurent principalement celles qui, en plus de leurs occupations dans l’espace public, cumulent les tâches de prendre soin des autres, de ceux qui sont plus vulnérables. Aux États-Unis, on estime que 61 % des femmes jouent un rôle d’aidante, ce qui signifie qu’elles vont notamment effectuer de nombreux déplacements tout en devant conduire une poussette ou encore un fauteuil roulant.
Outre le fait que les femmes vont ainsi se heurter à de nombreux obstacles sur leurs parcours, comme les portillons dans les métros, cette réalité se traduit aussi par des patrons de déplacements qui se distinguent de manière significative de ceux des hommes. Des études le montrent : les femmes font en général des déplacements plus nombreux, plus courts, plus variés, et plus échelonnés durant la journée. Alors que les hommes demeurent typiquement des navetteurs, se déplaçant surtout aux heures de pointe.
Les sociétés de transports ont donc établi leurs circuits afin qu’ils convergent vers les pôles d’attraction et ils ont planifié les déploiements journaliers de leur flotte en fonction des heures de pointe. Pour les bénéfices des navetteurs… Donc, les femmes, qui se déplacent en dehors de ces heures et qui empruntent des itinéraires atypiques, seront moins bien desservies durant la journée. Et le soir, pour des raisons de sécurité, elles auront tendance à délaisser les transports collectifs en se tournant vers des options plus coûteuses. Autrement dit, la société leur impose une taxe rose, selon la chercheuse Sarah Kaufman.
Pistes de solution
Un changement de paradigme s’impose. La chercheuse britannique Kate Jelly considère que pour rendre les rues plus sécuritaires, il faut d’abord féminiser les pistes cyclables. Ce qui signifie d’aménager des voies séparées de la circulation, bien éclairées, favorisant la multimodalité et qui correspondent le mieux aux habitudes de déplacement des femmes.
Toutefois, il y a loin de la coupe aux lèvres. Du moins au Royaume-Uni. Kate Jelly souligne d’ailleurs que 76 % des femmes au pays ne font jamais de vélo. Et seulement 9 % d’entre elles sont des cyclistes régulières, contre 21 % chez les hommes. Tandis qu’à Copenhague, par exemple, où les réseaux cyclables sont pour ainsi dire « féminisés », 55 % des déplacements à vélo sont effectués par des femmes !
Les villes féministes existent donc ! Et Sarah Kaufman, dans le cadre de sa recherche, a notamment identifié sept types de stratégies pour assurer les déplacements sécuritaires des femmes et de toutes les personnes marginalisées dans la ville.
- Dans les stations, plus d’éclairage, de marquages, de ressources multilingues et de moyens de communication pour accommoder les personnes avec une déficience visuelle ou auditive, en plus d’ascenseurs et des portes d’entrée plus larges.
- Des tarifs familiaux qui permettent le paiement unique pour les adultes avec enfants).
- Des applications mobiles de planification des déplacements qui tiennent compte de la sécurité en indiquant par exemple les parcours où les rues sont bien éclairées.
- Créer des espaces sûrs (safe space) près des stations où les personnes en difficulté peuvent entrer en contact avec des bénévoles.
- « Féminiser » la multimodalité par une offre de vélos et de scooters partagés conçus pour les femmes et dotés de sièges pour enfants ainsi que de paniers pour loger les bagages.
- Recueillir des données de déplacements qui tiennent compte des différences selon le genre afin de mieux guider les processus de planification.
Et, à propos de planification, puisque la pandémie a mis en lumière les vertus du télétravail, lequel semble vouloir s’incruster dans nos mœurs, voilà une occasion inespérée pour les sociétés de transports de revoir leurs offres de service : non plus seulement au profit des navetteurs moins nombreux aux heures de pointe moins intenses, mais aussi pour toutes les personnes, tout au long de la journée. Pour les deux moitiés, et les autres, de toute la population !
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