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Les jeunes n’ont jamais été aussi connectés qu’aujourd’hui. Plusieurs ont les yeux rivés sur leur écran près de la moitié de leur temps d’éveil. Les élèves du secondaire passent au moins cinq heures par jour en ligne, uniquement à des fins de loisir. Ce qu’ils y font? Ils jouent, ils échangent et ils visionnent des contenus vidéo, en rafale principalement. Doit-on craindre des effets nocifs sur leur santé mentale? La réponse est tout en nuances.
« La génération actuelle des 12-18 ans passe beaucoup plus de temps devant les écrans que les générations précédentes. Le temps d’écran a augmenté durant les dernières décennies et cette augmentation s’est accélérée au cours de la pandémie », note Caroline Fitzpatrick, professeure à l’Université de Sherbrooke et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur le vivreensemble, les médias numériques et les enfants. Même si d’autres facteurs doivent être pris en considération, en général, plus le temps passé en ligne est élevé, plus les risques d’effets nocifs sur le bien-être sont grands.
Les jeunes ont pratiquement grandi avec une tablette ou un téléphone à la main. La majorité des adolescents ont reçu leur premier téléphone personnel entre l’âge de 11 et 13 ans, d’abord parce que leurs parents souhaitaient garder un lien avec eux en tout temps. Rapidement, l’appareil a pris de plus en plus de place dans leur vie, au point où 80 % des jeunes Canadiens disent le garder dans leur chambre la nuit.
Socialisation, divertissement et informations
Oui, les ados passent beaucoup de temps scotchés à leur téléphone. Mais quelle utilisation en fontils exactement? « Les filles et les garçons passent la même durée de temps devant les écrans, mais leur utilisation et leur profil sont différents, dit Caroline Fitzpatrick. Les garçons passent plus de temps à faire du “gaming” et à consulter des sites sexuellement explicites, tandis que les filles s’intéressent davantage aux réseaux sociaux et au clavardage. Pour tous, l’activité la plus populaire est de passer du temps sur YouTube, de regarder des vidéos ou des émissions de télévision. Les vidéos les plus courtes suscitent le plus d’intérêt. » On note très peu de lecture (ereading), d’activités créatives ou de visio-rencontres, souligne-t-elle.
« Les adolescents nous disent utiliser leur téléphone avant tout pour socialiser, pour être en contact avec leurs amis, souligne pour sa part Emmanuelle Parent, doctorante en communication à l’Université de Montréal et chercheure spécialisée en médias sociaux, normes sociales et ados. Ils peuvent échanger après l’école et planifier de se voir ou s’envoyer des vidéos. L’adolescence est une période où les jeunes sont en plein développement de leur autonomie relationnelle, ils se définissent beaucoup par les groupes dont ils font partie. Ça se passe à leur façon, en ligne. »
Le contenu qu’ils aiment, qu’ils partagent ou qu’ils créent constitue leur univers, une façon d’exprimer leur identité. « Avant, les jeunes mettaient des “posters” sur les murs de leur chambre. Aujourd’hui, ils exposent des photos sur leurs réseaux sociaux. On dit qu’ils publient trop, mais ils en tirent du positif. Si tu dessines des mangas ou que tu es bon au soccer, tu voudras le partager sur tes réseaux », explique Mme Parent, aussi co-fondatrice du Centre pour l’intelligence émotionnelle en ligne CIEL.
Les jeunes utilisent également leur téléphone pour apprendre. Pendant la pandémie, plusieurs en ont profité pour s’initier à un passe-temps ou s’entraîner via des tutoriels. « Ils s’instruisent sur un tas de sujets, sur l’actualité ou des causes sociales. Ils sont très allumés, observe Emmanuelle Parent, ils argumentent et ils présentent une pluralité de points de vue. » Pour des jeunes de groupes marginalisés, les technologies peuvent même permettre de briser l’isolement social, indiquent plusieurs études. Des communautés virtuelles (ex. LGBTQIA+) offrent un important soutien en ligne.
Risques nombreux : données probantes manquantes
Plus les jeunes consacrent leurs temps libres en ligne, plus les autres sphères de la vie (comme les relations interpersonnelles, la qualité du sommeil, la pratique d’activité physique, les habitudes alimentaires) risquent d’écoper. Tous ces éléments sont liés au bien-être.
« Même si on a des interactions soutenantes en ligne et qu’on regarde uniquement des documentaires, il est important de garder en tête que c’est une activité sédentaire », indique Caroline Fitzpatrick.
Selon la campagne PAUSE, de Capsana, « une utilisation d’écrans de plus de quatre heures par jour pour des activités de loisir serait associée à un risque plus élevé de décrochage scolaire, à de moins bonnes ressources personnelles et sociales, à une quantité de sommeil insuffisante ainsi qu’une moins bonne santé mentale et physique en général ». PAUSE, c’est aussi un site web qui propose de l’information, des conseils ainsi que des outils et des ressources pour les parents de même que pour les intervenants et intervenantes. De plus, PAUSE propose des événements de déconnexion 24 h aux jeunes adultes et aux familles, en plus d’activités dans les milieux fréquentés par les jeunes.
On rapporte notamment une augmentation des symptômes d’anxiété et de dépression, ainsi qu’un risque accru de développer des symptômes de TDAH. « Les jeunes qui passent plus de temps en ligne, entre 15 et 17 ans, risquent aussi de développer moins de comportements prosociaux, comme l’altruisme ou la tendance à venir en aide à une personne en détresse », souligne Mme Fitzpatrick.
De façon générale, la durée maximale recommandée est de deux heures par jour pour les activités de loisirs chez les enfants de 6 à 12 ans. Depuis 2019, la Société canadienne de pédiatrie ne fait plus référence à une durée d’utilisation spécifique, mais plutôt à la pertinence du contenu, au contexte et aux caractéristiques individuelles du jeune. C’est aussi ce que recommandent les organismes canadiens pour les 13-19 ans.
Les médias sociaux suscitent beaucoup d’inquiétudes. « On ne sait pas pourquoi les médias sociaux affectent négativement certaines personnes plus que d’autres puisque plusieurs facteurs entrent en jeu, notamment l’âge (les jeunes y sont plus susceptibles), le sexe (les filles sont plus touchées), l’intensité de l’utilisation (soit la fréquence, la durée, le nombre de comptes utilisés, le type de contenus consultés) ainsi que certaines vulnérabilités (personnalité anxieuse, dépressive ou à risque de développer un problème d’utilisation) », détaille PAUSE. « Un usage intensif peut donc amener les jeunes […] à se comparer négativement aux autres, à vivre du mécontentement ou à entretenir un sentiment de privation sociale ou une faible estime de soi… ce qui représente autant de sources d’anxiété. »
Néanmoins, il existe à ce jour très peu de données probantes concernant l’impact du numérique sur la santé mentale des jeunes. « La science est très nuancée. Les chercheurs tentent d’établir des liens entre l’utilisation des écrans et des indicateurs de bien-être : les résultats ne sont pas si clairs, souligne Emmanuelle Parent, de l’Université de Montréal. On n’a pas de liens de causalité, mais plutôt des corrélations. On fait du cas par cas. »
« Les troubles anxieux et la dépression sont des problèmes de santé complexes qui existaient bien avant l’introduction massive des écrans et qui ont plusieurs causes. Les écrans ne sont et ne seront jamais l’unique cause de ces difficultés, affirme Caroline Fitzpatrick. Par contre, dans nos laboratoires, on a observé que le temps passé en ligne chez les filles de 13 à 17 ans est associé à une augmentation des symptômes de dépression. » La causalité inversée a été prise en compte, précise-t-elle.
« L’utilisation des appareils portables et du numérique demeure un phénomène relativement récent. On mérite de le traiter avec prudence, sans sonner l’alarme, mais il faut, en tant que chercheurs, surveiller ces tendances et leurs impacts avec des devis sérieux de recherche », indique Mme Fitzpatrick.
À ce titre, le ministère de la Santé et des Services sociaux a élaboré en 2022 la Stratégie québécoise sur l’utilisation des écrans et la santé des jeunes. Elle fait écho à des consultations qui ont regroupé des experts québécois dont les travaux portaient sur l’utilisation des écrans et leurs répercussions sur la santé ainsi que des représentants de dizaines d’organismes de milieux variés. Elle contient de grandes orientations structurantes et des pistes pour les actions à mettre en œuvre en vue de diminuer les risques pour la santé que pose l’utilisation des écrans.
Des pistes de réflexion
« Il faut approcher la question de façon nuancée. Dans les mêmes conditions, une utilisation du numérique sera judicieuse pour un adolescent et délétère pour un autre, précise Emmanuelle Parent, co-fondatrice du CIEL. Au lieu de nourrir un sentiment de culpabilité, on doit plutôt développer chez eux un esprit critique sur l’utilisation du numérique et des changements dans leurs habitudes de vie. » L’organisme offre des ateliers d’autodéfense numérique qui ont rejoint 10 000 jeunes dans les écoles secondaires en 2021-2022.
« Un sondage révèle que 75 % des jeunes Québécois pensent que leur utilisation des écrans est problématique et qu’ils aimeraient utiliser leur téléphone moins souvent. Il y a une prise de conscience, c’est un bon point de départ. Le transfert d’informations peut leur permettre de faire des choix éclairés et de maximiser leur bienêtre avec le numérique », avance Mme Fitzpatrick.
« Il n’y a pas de solution magique. Il faut sensibiliser les jeunes au temps qu’ils passent sur les écrans et au type de contenu qu’ils consultent, poursuit la professeure de l’Université de Sherbrooke. Est-ce que ce sont des contenus éducatifs, qui leur permettent d’entrer en contact de façon positive avec les autres? Consultent-ils plutôt des contenus qui créent un sentiment de vide? » Le contexte d’utilisation importe aussi. « Utilisent-ils les écrans durant les repas, au coucher, par ennui? »
Dans les ateliers de CIEL, on expose les enjeux liés aux écrans et on vise l’instauration de saines habitudes numériques chez les adolescents. Les animateurs amènent les élèves à réaliser qu’ils doivent arriver à se couper des technologies pour se concentrer sur une tâche spécifique, que le temps d’écran empiétant sur le sommeil peut affecter leur humeur, que le besoin de voir sans attendre de nouveaux contenus peut mener à une fatigue cognitive et induire du stress. On discute de l’exposition continue aux standards d’image corporelle, de l’utilisation des algorithmes, des considérations économiques des plateformes, de la cyberdépendance et de la cyberintimidation. « On parle aussi des relations sociales. Dans quels moments est-il plus opportun de s’exprimer : par écrit ou en face à face? »
Ensemble pour une utilisation équilibrée
« Les cliniciens vont encourager les parents à maintenir des conversations ouvertes, sans jugement, avec leurs jeunes sur leurs activités en ligne, dit Caroline Fitzpatrick. Sans entrer dans la vie privée de son enfant, on peut s’informer sur les jeux auxquels il joue, quelle plateforme il utilise, quelles interactions il a et comment il se sent. »
« Comme adultes, on doit éviter les remarques stigmatisantes et de ridiculiser les danses TikTok, par exemple. Si les jeunes éprouvent des difficultés en ligne, ils hésiteront alors à en parler de peur d’être jugés, ajoute Emmanuelle Parent. Il faut accepter que ça se passe et leur faire confiance. Ils sont eux-mêmes critiques de leur utilisation. Les parents peuvent devenir leurs alliés en décidant ensemble des règles à respecter. On ne doit pas démoniser. » Les adultes ont aussi à se questionner sur leur utilisation de la technologie pour être des modèles positifs.
« On doit partager des messages sans jugement, sans imposer de mesures, confirme Mme Fitzpatrick. C’est important de limiter l’utilisation par ennui et automatisme et de favoriser une utilisation positive. J’ai confiance que, si l’on poursuit les efforts de sensibilisation, on va pouvoir aider les générations actuelles et futures à devenir des utilisateurs équilibrés du numérique. »
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Pour poursuivre votre lecture sur le sujet, consultez notre dossier spécial « La santé mentale des jeunes : l’affaire de tous », appuyé par les statistiques les plus récentes ainsi que des entrevues avec plusieurs experts. Notre équipe de rédaction y décortique le concept de « santé mentale positive », qui fait l'objet d'un intérêt croissant depuis quelques années. Une attention particulière est également portée à deux problématiques des plus actuelles: l'utilisation des écrans et l'écoanxiété.
Ce dossier spécial invite également les lecteurs à faire connaissance avec trois personnes qui, chacune à leur manière, ont créé des programmes exceptionnels et innovants pour encourager le bon développement et le bien-être des jeunes:
- Mary Gordon, fondatrice du programme scolaire international Roots of Empathy/Racines de l’empathie
- Jean-Philippe LeBlanc, fondateur de l'organisme Face au vent et du programme H(être)
- Martin Dusseault, fondateur et coordonnateur du programme Bien dans mes baskets
Une grande série d'initiatives inspirantes, au Québec ou ailleurs, y sont également présentées pour encourager le passage à l'action, dans les différents milieux de vie.
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