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Depuis quelques années, des organismes, des groupes communautaires, des bénévoles, et de simples citoyens s’activent pour implanter une culture du vélo dans ce quartier dont l’environnement bâti a tout pour décourager les cyclistes les plus téméraires. Or, de nombreuses initiatives tournant autour du vélo sont en train de changer la donne et peut-être même le visage du quartier tout entier.
Dans Saint-Michel, à Montréal, les gens qui circulent à vélo sont très rares. De nombreux facteurs expliquent cette situation. Comme le souligne Alexane Ferland, agente de développement chez Vélo Québec, il faut notamment se battre contre l’automobile. « En fait, précise-t-elle, il faut se battre contre un phénomène culturel bien ancré qui lie la possession d’une voiture au statut social, à la réussite individuelle. »
« C’est paradoxal, ajoute Alexane, puisque nous sommes dans l’un des quartiers les plus défavorisés du Québec, avec 30 % de ménages vivants sous le seuil de la pauvreté. Mais, il semble que les gens préfèrent s’endetter afin de posséder une voiture plutôt que de donner l’impression qu’ils ont glissé au bas de l’échelle sociale. »
Un quartier en trois morceaux
Au-delà des préjugés, le cycliste michelois doit aussi se battre contre de nombreuses barrières physiques. « C’est un quartier très enclavé, mais, il est aussi très morcelé, résume Chloé Sahut, chargée des concertations mobilité et habitation chez Vivre Saint-Michel en santé. C’est aussi difficile de se déplacer à l’intérieur du quartier que d’en sortir. »
En effet, la partie sud de Saint-Michel est séparée du reste par l’autoroute métropolitaine. Et le secteur nord, lui, est coupé par une immense brèche : la carrière Francon. « C’est une fosse de 94 hectares, détaille Chloé. Elle est en plus flanquée de sites industriels. Ça fait beaucoup de camionnage. Non seulement des activités d’extraction se déroulent encore dans la partie nord de la carrière, mais le reste de l’excavation sert d’entrepôt pour les véhicules lourds de la ville de Montréal en plus de jouer le rôle de dépôt à neige l’hiver. »
Donc, non seulement le cycliste michelois doit contourner plusieurs obstacles infranchissables sur sa route, mais il lui faut aussi affronter la peur de partager la chaussée avec de nombreux véhicules lourds. Alexane, qui fait du bénévolat dans le quartier, s’y rend de chez elle toujours à vélo. C’est la partie facile. « Mais, prévient-elle, une fois rendu là, il faut que tu saches par où passer, parce que c’est dangereux en raison de la circulation. C’est pour ça qu’à Saint-Michel, on ne veut pas circuler tout nu dans la rue. On veut être protégé par notre carrosserie. »
Un premier coup de pédale
Sauf erreur, on ne trouve toujours pas d’atelier de réparation de vélo dans le quartier Saint-Michel. Évidemment, avec si peu de cyclistes… Alors, pour combler cette lacune, l’organisme Cyclo Nord-Sud a mis sur pied, en 2018, Vélorution Saint-Michel, un programme de sensibilisation et de réparation de vélos. Au départ, les bénévoles se déplaçaient de parc en parc pour rejoindre la population. Ensuite, ce programme a été repris par les Loisirs communautaires Saint-Michel. Et dans le but d’en assurer la pérennité, on a logé l’atelier communautaire de réparation, désormais appelé la Grande Roue, à la Maison du citoyen, dans le parc François-Perrault.
Le fonctionnement de la Grande Roue est entièrement assuré par des bénévoles comme Alexane. « C’est plus qu’un atelier, nous confie-t-elle. C’est un lieu de rencontre qui renforce le sentiment d’appartenance. Ça répond à un besoin criant, surtout dans un quartier multiethnique qui compte beaucoup de nouveaux arrivants... À l’atelier, autour d’un vélo, pas besoin de beaucoup de mots. Tu passes un outil, tu esquisses le geste… Et rapidement tu établis des liens. »
L’atelier ne permet pas seulement de devenir autonome en mécanique ou d’échanger de nombreux trucs sur les manières de s’habiller en fonction de la température, ou encore sur les meilleurs itinéraires pour rallier certaines destinations…, c’est aussi un lieu d’échange autour duquel gravite une communauté vélo en plein essor et qui sert de pignon afin d’établir des liens entre de nombreux programmes.
Du vélo pour petits et grands
Vélo Québec a aussi pris pied dans le quartier Saint-Michel, en 2018, pour y déployer son programme Cycliste Averti dans les écoles primaires. Cette formation vise à préparer les élèves de 5e et 6e année à se déplacer à vélo de façon sécuritaire et plus autonome dans leur environnement. Mais, l’organisme, conscient de l’ampleur des besoins et de l’intérêt manifesté par la communauté vélo naissante de Saint-Michel, a aussi offert, l’an dernier, son programme Cyclomini : un parcours éducatif éphémère qui s’adresse, cette fois, aux enfants de deux à huit ans. L’événement a connu un vif succès, attirant de nombreuses familles, et dont la plupart des parents n’auraient pas pu apprendre à leurs enfants comment enfourcher correctement un vélo, voire une draisienne.
Puis, à l’automne, c’était au tour des femmes de s’initier à la conduite d’une bicyclette grâce à un autre programme de Vélo Québec : Toutes à vélo. « En tout, nous avons aidé 37 femmes à développer la maîtrise d’une bicyclette afin qu’elles deviennent indépendantes et autonomes, raconte Alexane. Certaines participantes ont même récupéré des vélos abandonnés, puis les ont amenés à l’atelier de réparation pour les remettre en ordre et continuer à rouler dans le quartier ! »
Voilà d’ailleurs un autre enjeu de taille qui préoccupe Vélo Québec : quel sera l’impact du programme Toutes à vélo si, par la suite, ces femmes ne peuvent pas continuer à pratiquer faute de vélos ? C’est pourquoi, de concert avec Vivre Saint-Michel en santé, ils ont approché l’organisme Solon. Ce qui a débouché sur la mise en place d’un projet pilote de prêts de vélos « semi long-terme » de trois mois afin de mieux répondre aux réalités de ces femmes.
Demain, Saint-Michel
Même si elle n’y habite pas, Alexane considère que Saint-Michel est devenu son quartier d’adoption. Parce que, dit-elle, il est accueillant, solidaire, dynamique. Parce qu’on y compte de nombreuses de familles, ce qui le rend vibrant avec ses nombreuses activités extérieures. Parce qu’il y règne un esprit communautaire très fort !
Alexane sait toutefois que la révolution vélo n’est pas pour demain. « À l’heure actuelle, confie-t-elle, les Michelois et Micheloises ne perçoivent pas le vélo comme un moyen de transport viable à part entière. Mais ils le découvrent petit à petit comme un instrument de loisir. Bref, le vélo commence à devenir populaire. Et ça, c’est un pas dans la bonne direction. »
De son côté, Chloé se montre tout aussi réaliste. Malgré les transformations auxquelles on assiste déjà, on se trouve dans un tissu urbain très complexe à aménager. Et le vélo, ce n’est pas la priorité. C’est d’abord à l’accès à l’alimentation, à l’éducation, aux services essentiels, et c’est aussi l’intégration des nouveaux arrivants, le développement du transport collectif, qui préoccupent les gens.
« Ici, l’urgence, précise-t-elle, c’est de manger, de reconduire les enfants à l’école et d’aller travailler. Alors, les déplacements à vélos, c’est loin d’être une priorité pour les gens. Même si, quand on prend le temps d’y penser, tout ça, on peut le faire à vélo ! Mais c’est un luxe que ne peuvent pas se payer la plupart des gens qui vivent déjà en situation de précarité. »
Bien sûr, le vélo n’est pas la solution à tous les problèmes que vivent les Michelois·e·s. Mais sa popularité grandissante laisse entrevoir la perspective prochaine d’aménager des milieux de vie à échelle humaine, notamment pour les femmes et les enfants d’abord…
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