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Comme près d’un jeune adulte québécois sur deux1, nous sommes nombreux à éprouver de l’écoanxiété. Mais qu’est-ce que ce « nouveau » mal qui prend des proportions pandémiques ?
Que sait-on de l’écoanxiété?
On reconnaît les impacts de la pollution, des catastrophes environnementales et même des changements climatiques sur la santé physique depuis des décennies. Depuis environ dix ans, une attention croissante est portée aux conséquences de ces phénomènes sur la santé sociale et mentale des personnes. Il est intéressant, dans cette optique, de savoir que la pandémie de Covid-19 peut être vue comme une catastrophe naturelle. Ainsi, la pandémie ne semble pas avoir atténué la présence de l’écoanxiété dans la population, mais bien l’avoir exacerbée.
L’Office de la langue française du Québec propose la définition suivante de l’écoanxiété sur son site Internet : « Sentiment d’anxiété ou préoccupation ressentis par une personne devant les bouleversements causés par les changements climatiques et l’appréhension de leurs conséquences. » On y distingue l’écoanxiété de sa sœur, la solastagie, qui serait la « [d]étresse ressentie par une personne devant les pertes ou les modifications touchant son environnement immédiat en raison des changements climatiques ».
La définition de l’écoanxiété évolue rapidement, au fur et à mesure que les chercheurs, penseurs, praticiens et citoyens s’intéressent à la question. En fait, il existe presque autant de définitions de ce concept qui paraît encore un peu « fourre-tout » que d’écrits récents à son sujet. Pour certains, il inclut toutes les réactions normales, saines bien que souvent pénibles, face à une situation de danger et de perte, devant l’urgence collective à laquelle nous faisons face. De la même manière, vivre une grande tristesse, de la lassitude, des maux physiques et bien d’autres réactions est tout à fait normal lors d’un deuil, par exemple. Il en serait de même pour les manifestations de l’écoanxiété. D’ailleurs, les concepts d’écolucidité ou d’écoconscience émergent pour mettre en lumière la justesse de la réaction anxieuse face aux dangers présents et imminents de la crise environnementale.
La complexité et la globalité des problèmes environnementaux, politiques, sociaux, économiques et de santé suscitent avant tout un grand sentiment d’impuissance et même une certaine paralysie face aux défis à relever. On parle de plus en plus de toute la gamme possible des écoémotions3 que l’on peut ressentir face aux problèmes environnementaux, à leurs impacts, ou à l’inaction politique.
Pour d’autres, en raison de l’intensité de la détresse ressentie et de comment l’écoanxiété peut affecter la vie quotidienne de certaines personnes, il s’agit plutôt d’un trouble psychologique, en voie d’être reconnu comme tel.
La conscience de son environnement peut aussi faire naître des émotions positives. Par exemple, au contact avec la nature, il est possible de ressentir de la gratitude envers le vivant ou encore un émerveillement vis-à-vis de la flore et à la faune. Ainsi, certaines écoémotions pourraient jouer un rôle dans la résilience des personnes face aux défis environnementaux et même contribuer à l’action environnementale.
Qui est écoanxieux?
Nombreux sont ceux qui vivent de la culpabilité s’il leur arrive de remplir la poubelle d’emballages ou de gaspiller de la nourriture. Ressentir de la colère et de l’indignation sont des sentiments largement partagés dans la population quand nos derniers caribous forestiers d’Abitibi sont mis en enclos. Ainsi, pleurer la disparition d’un paysage qui nous était cher ou sentir nos cœurs fendre lorsque nos enfants déclarent ne pas vouloir donner naissance à de nouveaux bébés sur la Terre surpeuplée est certes douloureux, mais ne saurait être considéré pathologique.
Toutefois, la quantité, comme le degré d’intensité de ces réactions peut considérablement varier d’une personne à l’autre. Ce qui sera ressenti comme une vague culpabilité passagère chez l’un pourra prendre des proportions, sinon démesurées, du moins handicapantes chez d’autres. Christina Popescu, doctorante en psychologie sociale à l’Université du Québec à Montréal, s’intéresse aux symptômes de l’écoanxiété qui peuvent s’apparenter, selon elle, à ceux du trouble d’anxiété généralisée — notamment stress, insomnie, crises d’angoisse et de panique. Elle observe aussi parfois de la tristesse et de la dépression chez les personnes écoanxieuses. Elle souligne cependant, qu’à la différence de l’anxiété généralisée, l’écoanxiété prend sa source dans une menace réelle. Elle distingue aussi ceux qui sont préoccupés par l’environnement sans pour autant être écoanxieux de ceux qui sont affectés par leur écoanxiété dans leur fonctionnement.
Bien que personne ne soit à l’abri de l’écoanxiété, il semblerait que certains groupes y soient plus vulnérables que d’autres: les jeunes, les femmes, les jeunes parents, les scientifiques et les militants, mais aussi les anglophones et les immigrants seraient davantage touchés par ce phénomène prenant des allures de raz-de-marée. Les enfants seraient aussi particulièrement sensibles à l’écoanxiété, à la question de l’extinction des animaux et aux menaces de catastrophes environnementales, notamment. D’autre part, l’expérience vécue d’une catastrophe naturelle ou le fait d’avoir subi des conséquences directes de problèmes environnementaux accroîtrait le risque de présenter de l’écoanxiété. À titre d’exemple de communautés affectées par les changements climatiques, les peuples autochtones du Nunavut et de la Côte-Nord se trouvent aux premières loges de la fonte des glaces et en subissent des conséquences directes. Les agriculteurs seraient aussi plus touchés par les changements climatiques et par l’écoanxiété.
Enfin, il semblerait qu’une vulnérabilité aux troubles anxieux soit habituellement préalablement présente chez les personnes qui développent des symptômes plus prononcés d’écoanxiété.
Quoi qu’il en soit, les conséquences des problèmes environnementaux sur la santé mentale des Canadien·nes sont réelles et nombreuses. Dans un rapport produit en 2022 sur la santé et le climat en Colombie-Britannique, les auteurs notent que: « Les impacts des changements climatiques sur la santé mentale peuvent inclure l’aggravation de maladies mentales existantes, comme la psychose; l’apparition de nouveaux cas de maladies mentales, comme le trouble de stress post-traumatique; des facteurs de stress liés à la santé mentale, comme le deuil, l’inquiétude, l’anxiété et les traumatismes indirects; et la perte du sentiment d’appartenance, qui fait référence à un détachement perçu ou réel de la collectivité, de l’environnement ou de la patrie. […] »5.
Dans tous les cas, quelle que soit l’origine du problème, une personne vivant de la détresse ou éprouvant du mal à accomplir ses activités quotidiennes et à assumer ses responsabilités devrait rechercher et obtenir de l’aide.
Se mobiliser et agir… sans s’épuiser!
Dans ce monde complexe et mouvant qui exige notre vigilance constante, comment trouver la paix d’esprit?
1- Bien s’informer pour mieux comprendre son environnement et gare aux biais cognitifs
Tout le monde aspire à avoir l’heure juste en ce qui a trait à l’actualité et à l’état du monde, mais pour éviter d’être victime de sensationnalisme ou de désinformation, il est essentiel de s’aiguiller afin de discerner les sources d’informations justes et crédibles des autres. Être informé de manière à mieux comprendre le monde qui nous entoure, de près et de loin, accroît notre sentiment d’efficacité pour agir sur notre environnement. C’est important.
Par contre, comme on dit, trop c’est comme pas assez. La présence du numérique et des médias de tous genres dans nos vies peut entraîner une surexposition aux informations, même lorsque celles-ci sont fiables. Celles-ci ne contribuant plus à rendre plus lucide, sur la question de la crise climatique par exemple, mais seulement à engendrer une réaction anxieuse chez la personne déjà sensibilisée. Les médias sociaux dont les algorithmes tendent à proposer du contenu similaire au contenu auquel l’internaute s’est déjà intéressé peuvent accentuer ce phénomène.
Pour évaluer toute situation avec plus de recul, il est aussi bon de prendre conscience de nos propres biais cognitifs, c’est-à-dire des lunettes roses ou noires au travers desquelles nous tendons à regarder le monde. Avons-nous, par exemple, une tendance à la nostalgie ou à imaginer le pire, à nous sentir victimisé ou à nous blâmer nous-mêmes ? Il peut parfois être souhaitable de mettre un peu d’eau dans son vin, c’est-à-dire de faire l’effort conscient de remettre en question ses a priori et de modérer certaines de ses prises de position.
2- Agir ensemble dans nos milieux de vie
Selon un proverbe maure (dit-on!), « Le fardeau supporté en groupe est une plume. » Cette jolie image se prête parfaitement à l’enjeu de l’écoanxiété. Si les réactions peuvent varier considérablement d’un individu à l’autre, les problèmes environnementaux sont systémiques et leurs solutions sont en grande partie collectives. Personne ne peut seul faire face à la menace environnementale.
Il est vrai que les enjeux sont complexes: de la libération des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, à la qualité de la terre et de l’air, de la préservation de l’eau douce, à la justice climatique, des méthodes de production agricole, à la gestion des matières résiduelles ...Il reste que dans bien des cas, leurs solutions écologiques peuvent être relativement simples et accessibles. Des ressources vulgarisées pour s’informer des enjeux qui touchent nos communautés existent bien souvent déjà. Puis, à l’échelle de nos milieux de vie se trouvent toute l’intelligence collective nécessaire et des moyens accessibles pour protéger et transformer nos environnements en écosystèmes sains.
Agir ensemble n’est pas seulement une nécessité, mais c’est aussi un moyen de participer, d’appartenir, de s’entourer, de se connaître les uns les autres, comme de mieux de se reconnaître en l’autre. L’action collective est indispensable à la transition écologique et elle en fait partie, en tant que fondement d’un nouveau projet de société.
3- S’engager et développer des compétences écocitoyennes
Comment renverser le sentiment d’impuissance causé, notamment, par l’inconsistance des actions de la part des leaders devant les conclusions alarmantes des rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et les appels répétés à l’action des experts du groupe ? Pour lutter contre le sentiment d’impuissance, passons à l’action.
Alors qu’il peut être tentant de baisser les bras, s’engager dans des actions en cohérence6 avec ses valeurs, ses ressources et ses besoins pourrait être la meilleure chose à faire pour conserver une bonne capacité d’adaptation à travers l’adversité.
L’idée n’est pas de se lancer, tête baissée, dans la lutte environnementale. Plusieurs se sont déjà brûlé les ailes en s’y prenant de cette manière. Il s’agit plutôt de bien réfléchir aux enjeux qui nous préoccupent, de s’engager dans des démarches planifiées, d’apprendre les stratégies appropriées aux impacts recherchés, de participer à des actions écocitoyennes et d’en savourer les impacts : les enfants qui jouent dehors en sécurité, la fraîcheur apportée par les arbres plantés, la fête des récoltes au jardin.
On peut aussi saisir les occasions d’ajouter nos voix à celles qui portent des messages auxquels on croit. On peut même souvent agir par omission, en laissant fleurir notre pelouse, au grand bonheur des pollinisateurs, en ne renouvelant pas sa garde-robe à chaque saison ou en apprenant à se trouver belle avec sa couleur de cheveux naturelle.
4- Jardiner et passer du temps en nature... souvent!
Impossible de passer sous silence les bienfaits des contacts avec la nature sur le plan de la santé, tant physique que mentale. Pour retrouver son calme, réduire son stress, dépenser son énergie, voir loin, respirer profondément, améliorer sa santé cardiovasculaire… les retombées bénéfiques de la nature sur la santé sont aujourd’hui bien connues. Pour demeurer en contact avec le sens derrière nos actions, comme pour le simple plaisir et le ressourcement, les bains de soleil, de ciels nuageux, de sable, de vent ou de verdure sont à intégrer dans nos journées. Le jardinage comporte l’avantage supplémentaire de particulièrement renforcer le système immunitaire des amateurs de légumes qui ratissent la terre, en raison de la présence de certains micro-organismes amis présents dans le sol.
Bien sûr, dormir suffisamment, manger sainement, avoir un quotidien physiquement actif, comme éviter les drogues et l’alcool sont des habitudes de vie qui influencent grandement le bien-être psychologique des personnes. Cultiver la bienveillance envers autrui et envers soi-même fait partie des pratiques favorables à la santé psychologique. Concrètement la bienveillance envers soi passe par accueillir ses (éco)émotions, quelles qu’elles soient, être attentif à ses besoins et limites, se respecter, s’affirmer et se comporter envers soi-même, comme envers un bon ami. Enfin, les différentes méthodes favorisant la relaxation et la pleine conscience, comme les autres stratégies favorables à la santé mentale, ont fait leurs preuves et méritent grandement d’être expérimentées et intégrées au quotidien (voir les 7 astuces pour se recharger du Mouvement santé mentale Québec).
5- Pour les éducateurs et intervenants, lire: Écoanxiété: comment soutenir les jeunes inquiets de l’avenir de la planète?
Qui sait, le terme même d’écoanxiété pourrait bien être appelé à être remplacé par un autre plus juste, puisqu’il paraît réducteur par rapport à toutes les réactions émotionnelles que suscitent les changements climatiques, le déclin vertigineux de la biodiversité et la dégradation des espaces naturels. Cependant, la détresse et les autres impacts de la crise de climat et de la biodiversité sur la santé sociale, physique et mentale ne font qu’émerger7. Nous devons plus que jamais apprendre à prendre soin de soi, les uns des autres et de la Terre.
Sources:
1. Généreux, M., Landaverde, E. (2021). 3. St-Jean, K. (2020). Apprivoiser l’écoanxiété et faire de ses écoémotions un moteur de changement. Les Éditions de l’Homme, Montréal, 300 pages.
5. Bush, E. et D.S Lemmen, éditeurs. Rapport sur le climat changeant du Canada, gouvernement du Canada, Ottawa, Ontario, 2019, 446 p.
6. Généreux, M., Roy, M., Paré, C., Lévesque, J. (2020). 7. The Lancet (2021).
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Consultez également le dossier Dompter l’écoanxiété de Unpointcinq, le média de l’action climatique au Québec.