Elles vont bientôt débarquer dans les rues des villes de Montréal et de Westmount. Il est encore temps de se demander si les trottinettes électriques en libre-service font partie d’une véritable stratégie de mobilité « durable ».
La trottinette électrique ne laisse personne indifférent. Pour certains, c’est la coqueluche de la micromobilité alors que d’autres n’y voient qu’une source de tracas. Et bien qu’on la présente comme l’une des clés de la mobilité durable, curieusement, sa durée de vie est plutôt éphémère…
Une ère de déjà vu ?
L’histoire commence en septembre 2017, à Santa Monica, Californie, quand les tout premiers e-scooters en libre-service font leur apparition. L’engouement est immédiat. Et leur rythme de déploiement va rapidement dépasser celui des vélos libre-service sans borne d’ancrage, pourtant qualifiés, l’année précédente, de véritable tsunami planétaire. Si bien que, dès 2018, les trottinettes électriques comptaient pour près de la moitié des déplacements en micromobilité partagée aux États-Unis !
Qualifiée de technologie disruptive susceptible de résoudre le fameux problème du dernier kilomètre, la trottinette électrique est pourtant loin de faire l’unanimité. Rapidement, son utilisation, ou plutôt certains de ses utilisateurs, ont engendré des nuisances qui n’étaient pas sans rappeler celles générées par le débarquement massif des vélos flottants.
Date de péremption
Le talon d’Achille de la trottinette électrique, c’est sa durée de vie. En épluchant les données, le site Quartz a calculé que les e-scooters déployés à Louiseville, Kentucky, étaient envoyés à la casse après une moyenne de 28,8 jours d'utilisation. Moins qu’un mois lunaire ! Bien que l’opérateur en question nie la réalité de tels chiffres, sans toutefois divulguer ses propres statistiques, il reconnaît le problème, ajoutant du même souffle que, à l’instar de ses concurrents, il vise une durée de vie d’au moins six mois.
Toutefois, beaucoup d’observateurs demeurent sceptiques. La plupart des parcs de trottinettes électriques se composent de véhicules vendus dans le commerce. Peu coûteux, ces e-scooters n’ont pas été conçus pour résister aux exigences d’une multiplicité d’usagers dans le cadre d’un service de location, d’où leur durée de vie limitée. Or, la conception de trottinettes électriques beaucoup plus robustes accroît nécessairement leur coût de production. Et rien ne prouve que leur durée de vie allongée permettrait de rentabiliser de tels investissements.
À tout événement, si la vérité se situe entre ces deux extrêmes, la durée de vie d’une trottinette électrique en libre-service équivaudrait donc à celle d’un pot de yogourt.
Cycle de vie
Les trottinettes sont, certes, beaucoup plus discrètes que les bicyclettes. Mais, avec une si courte durée de vie, il est à craindre de voir l’histoire se répéter avec l’apparition de cimetières, non plus de vélos flottants, mais de trottinettes électriques.
Afin de prévenir ce genre de situations, certaines villes américaines imposent déjà des conditions aux opérateurs en matière de développement durable. Elles vont de la prise en charge des rebuts, par les compagnies, jusqu’à l’obligation de réutiliser les pièces encore fonctionnelles et de recycler les matériaux de celles devenues inutilisables, y compris, bien entendu, les fameuses batteries au lithium.
À ce jour, Portland, Oregon, fait figure de proue avec la réglementation la plus complète puisqu’elle demande aux opérateurs de lui présenter une analyse du cycle de vie de leurs trottinettes. D’abord, l’énergie et les matériaux utilisés pour la fabrication de chaque e-scooter. Puis leur durée d’utilisation et les coûts environnementaux de leur vie utile. Et enfin les impacts de leur mise hors service : réutilisation, recyclage et mise au rebut.
On notera que, pour le moment, aucune des compagnies ayant fait une demande de permis d’exploitation à la Ville de Portland ne disposait d’une analyse du cycle de vie de leurs trottinettes électriques. Mais elles s’engagent à déposer les documents nécessaires d’ici la fin de l’année 2019.
Chez nous, le projet pilote que vient de lancer le ministère des Transports, et qui diffère de son arrêté numéro 2018-18, ne laisse transparaître aucune préoccupation en matière de développement durable et d’impact environnemental. Mais il sera toujours temps de bonifier l’encadrement de cette pratique.
Une histoire de gros sous
Toujours selon le site Quartz, l’opérateur à Louiseville, pour faire ses frais, aurait dû pouvoir compter sur une moyenne de cinq déplacements par jour, pour chaque trottinette, pendant 5,25 mois. Dans la réalité, c’est plutôt une moyenne de trois déplacements par jour, et, on le sait, seulement pendant un mois… Ce qui se solde, pour la compagnie, par une perte d’environ 300 $ par trottinette !
Bien sûr, le cas de Louiseville n’est pas nécessairement représentatif de tous les autres marchés. Toutefois, personne n’est dupe. Ce modèle d’affaires ne peut pas être, pour le moment, rentable. Malgré tout, les investisseurs, qui injectent des milliards de dollars dans ces entreprises, sont persuadés que les promesses de profits seront au rendez-vous.
Et ces compagnies, du moins certaines d’entre elles, risquent bien de devenir profitables, surtout si on tient compte du fait que leur modèle d’affaires en cache un autre. Présentée comme une innovation disruptive, même si on peut en douter, la location de trottinette électrique comme élément clé de la mobilité durable n’est pas le but premier de ces compagnies. Leur rentabilité repose plutôt, comme c’est le cas pour les vélos flottants, sur la vente des données numériques colligées lors de chaque utilisation…
Un utilisateur averti en vaut deux ! Et l’avenir nous dira si ces trottinettes ne sont qu’un effet de mode éphémère ou si elles ont des chances de durer…