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Au cœur de la Mauricie, des éducatrices autochtones et allochtones conjuguent les principes de la pédagogie en plein air avec les valeurs ancestrales des Premières Nations pour reconnecter les enfants à la nature et favoriser une cohabitation harmonieuse dans un environnement où ils sont libres de bouger, d'explorer et d'être pleinement eux-mêmes.
En 2018, le Centre de la petite enfance Premier Pas, situé à La Tuque et à Trois-Rivières, a entrepris un grand virage vers la pédagogie en plein air, en misant sur l’approche de la coopérative Enfant nature. Cette approche, qui valorise l'exploration libre en forêt, fait des merveilles dans ce CPE hors du commun, qui accueille autant d'enfants allochtones qu'autochtones.
La fondatrice d’Enfant Nature, Sylvie Gervais, qui accompagne les éducatrices du CPE depuis trois ans, se réjouit de ce projet qui lui donne l’extraordinaire opportunité de pousser encore plus loin la pédagogie nature en travaillant avec la communauté autochtone.
« C’est un bonheur d’être sur le terrain avec les éducatrices et les enfants autochtones, autant au niveau individuel que pour Enfant Nature. Ils nous emmènent tellement loin dans le contact avec la nature, dans ce qu’il y a de plus grand, de plus sacré. » - Sylvie Gervais, fondatrice d’Enfant Nature
Les premiers pas d’Enfant Nature au CPE Premier Pas
Cette belle aventure débute il y a trois ans, lorsque deux éducatrices de l’installation latuquoise, Jessica St-Louis et Mélanie Jean, contactent Sylvie Gervais. Adeptes de plein air, elles souhaitent que leur groupe d’enfants allochtones et autochtones âgés de trois ans puissent profiter des bienfaits de l’éducation par la nature. Bien que le programme d’Enfant Nature s’adresse aux 4 ans et plus, Sylvie Gervais accompagne les deux éducatrices qui relèvent le défi de l’adapter aux plus petits. « On continue de les faire méditer, de les faire chanter, de favoriser leur développement moteur par l’aventure nature, les sciences nature et l’art nature, précise Sylvie Gervais. Ce sont les mêmes clés d’apprentissage, mais avec des histoires abrégées pour les 2-4 ans, qu’on appelle les Mousquetons Enfant Nature. »
Alors que Jessica et Mélanie quittent chaque matin l’installation de La Tuque pour aller en forêt, la directrice générale du CPE, Christiane Morin, ne tarde pas à soutenir l’initiative de ses deux éducatrices. « Juste de voir les enfants réagir, de les voir s’amuser, gagner en curiosité, en autonomie et en agilité, raconte-t-elle, je trouvais ça génial ! C’était facile pour moi d’y croire. » Rapidement, madame Morin s’assure que les éducatrices ont en main tout le matériel didactique d’Enfant Nature et que les petits sont bien habillés et équipés pour leurs sorties en forêt, été comme hiver.
« Ils ont tous leur combinaison, leurs petites bottes, leur sac à dos et même des petits outils. On va dehors 5 jours par semaine, même l’hiver, même à la pluie. Dans la forêt, c’est du jeu libre. Les enfants sont heureux ! » - Mélanie Jean, éducatrice
« On n’a plus d’interventions négatives à faire et ça rend notre travail beaucoup plus facile et agréable. On ne peut plus s’en passer. Nous maintenant, on est juste Enfant Nature. On ne joue plus à l’intérieur. » - Jessica St-Louis, éducatrice
Un retour aux sources pour les enfants autochtones
Outre le service de garde régulier, le CPE Premier Pas offre le Programme d’aide préscolaire aux Autochtones (PAPA), tant à La Tuque qu’à Trois-Rivières. Financée par l’Agence de santé publique du Canada, cette initiative vise à intervenir de manière précoce auprès des enfants inuits, métis et des Premières nations, afin de les préparer à fréquenter l’école et les aider à se bâtir une image positive d’eux-mêmes en favorisant la transmission des savoirs autochtones. Tous les jours de la semaine, les enfants autochtones du CPE Premier Pas passent ainsi une demi-journée en compagnie d’une éducatrice autochtone qui parle atikamekw et valorise leur culture.
À l’initiative de Christiane Morin, Enfant Nature a développé une formation spécialement destinée aux éducatrices autochtones. Faisant fi de ses premières craintes, Marie-Ève Weizineau en est ressortie transformée. « Au début, raconte-t-elle, j’avais un peu peur d’aller en forêt, car j’ai appris à être en sécurité avec mes enfants à l’intérieur. Mais aujourd’hui, je me sens en confiance et j’en profite pour intégrer des éléments de notre culture, comme des récits animaliers ou la fabrication d’un tipi. On retourne à nos sources dans la forêt. »
« Tout peut se faire à l’extérieur et les enfants peuvent tout apprendre dans la nature. On compte nos cocottes. On peut faire des lettres, des chiffres, sur la terre avec un morceau de bois. Les enfants s’épanouissent. Quand on chante, quand on trouve un animal, c’est de la magie ! » - Marie-Ève Weizineau, éducatrice
Sylvie Gervais, qui passe deux jours par semaine sur le terrain avec les éducatrices et les enfants autochtones, est impressionnée par la rapidité avec laquelle ces derniers intègrent l’approche d’éducation par la nature. « La première fois que je suis allée dans le bois avec Marie-Ève, raconte-t-elle, j’ai senti qu’elle avait Enfant Nature en dedans d’elle encore plus que moi. Elle a sorti une corde de son sac et elle a fait un panier en deux temps trois mouvements, dans lequel elle a déposé des graines pour les oiseaux. Ce contact spontané avec la nature, c’est une grande force. L’apprentissage se fait encore plus vite et naturellement. »
Toujours plus petits en forêt
En plus des poupons, le CPE Premier Pas accueille 50 enfants de 18 mois jusqu’à la maternelle dans chacune de ses installations de Trois-Rivières et de La Tuque et 18 places multiâges dans une plus petite installation de La Tuque. C’est autant d’enfants qui bénéficient aujourd’hui des bienfaits de la pédagogie nature ! En effet, inspiré par l’initiative de Jessica et Mélanie, le désir d’aller en nature n’a pas tardé pas à se propager à l’ensemble des éducatrices. Marie-lee Cleary, une éducatrice autochtone qui est responsable du groupe des deux ans, n’a pas hésité longtemps avant d’emmener ses tout-petits en forêt. « À cet âge, c’est au niveau moteur que les enfants en bénéficient le plus, précise-t-elle, alors qu’ils doivent lever les pieds pour esquiver une racine ou enjamber un arbre. En plus de développer leur endurance, ils explorent les sons, les odeurs et les textures. C’est merveilleux de les voir aller ! »
« Au Québec, confie Sylvie Gervais, Premier Pas est le CPE qui a poussé le plus loin l’expérience d’Enfant Nature. » Aujourd’hui, toutes les éducatrices du CPE ont reçu la formation d’Enfant Nature et il n’y a qu’avec les poupons que le programme n’a pas encore débuté. « Mais on a l’intention de le faire, ajoute Christiane Morin qui se dit extrêmement fière de son équipe. Pour réussir à faire cela, tient-elle à dire, ça prend une équipe vraiment dédiée au bien-être des enfants. Ça prend beaucoup de souplesse, mais on y regagne en qualité éducative. »
« L’été passé, avec la pandémie, les enfants ont mangé et ont dormi dehors. On ne rentrait pas dans le CPE. Certaines éducatrices, qui s’inquiétaient au début de perdre le contrôle avec les enfants, ont vite réalisé que c’est en leur laissant le contrôle qu’ils gagnent en autonomie. C’est extraordinaire de voir comment la liberté a un effet positif sur le comportement des enfants ! » - Christiane Morin, directrice générale du CPE Premier Pas
Enfant Nature et la culture autochtone
Dans le cadre du fonds stratégique du Programme d’aide préscolaire aux Autochtones dans les collectivités urbaines et nordiques (PAPACUN), Christiane Morin a proposé une formation régionale portant sur le thème Enfants Nature. Ce thème a vite rallié tous les centres PAPACUN du Québec et, dès le mois d’avril cette année, 17 éducatrices autochtones ont pu bénéficier d’une première formation par visioconférence (pandémie oblige) qui sera prolongée par quatre webinaires au cours de la prochaine année.
En plus de la formation, une partie du financement accordé par le fonds permet également à Enfant Nature de développer du matériel didactique intégrant la dimension autochtone à son programme et de sous-titrer en langue anglaise l’ensemble des capsules vidéo. Pour Sylvie Gervais, qui aspire à ce que de plus en plus d’enfants puissent se développer en étant pleinement eux-mêmes, dans toutes leurs dimensions physique, intellectuelle, émotionnelle et spirituelle, cette collaboration avec la communauté autochtone est l’un des plus grands bonheurs que la vie lui ait donnés. « On a des résultats extraordinaires, conclut-elle. Les éducatrices autochtones amènent ça plus loin que je l’avais moi-même pensé ! »
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Visionnez notre webinaire avec Sylvie Gervais: Enseignement en plein air au préscolaire : par où commencer?
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