Cet article appartient au dossier
« Les jeunes ne jouent plus dehors! » Enseignant au secondaire depuis une vingtaine d’années, Pierre Harel, est catégorique : « On donne aux élèves des notions théoriques sur l’écologie. On leur parle de gaz à effet de serre. Mais ils ne connaissent pas leur environnement ! Il faut aller dehors avec eux pour les sensibiliser. »
Pour aider ses élèves à s’approprier leur territoire, Pierre Harel a choisi de les initier au kayak en voguant sur le deuxième plus grand lac fluvial du Saint-Laurent : le lac Saint-Louis. Récit d’une aventure annuelle qui marque autant le prof que ses élèves.
Une véritable épopée
Pour aider les jeunes à renouer avec la nature, l’enseignant en éducation physique et en espagnol à l’École secondaire des Patriotes-de-Beauharnois organise, depuis 2004, un voyage de kayak-camping avec une vingtaine d’entre eux. Le projet s’appelle Oumiak, du nom des embarcations traditionnelles des membres des Premières Nations.
Pendant cinq jours, à la fin du mois de juin, les jeunes de 3e secondaire pagaient sur les lacs Saint-Louis et des Deux-Montagnes. Le soir venu, ils s’arrêtent pour camper. Une vraie épopée pour ces ados qui, bien souvent, ont eu peu de contacts avec le plein air dans leur vie. « Ça m’a donné le goût du voyage et de l’exploration, raconte une ancienne participante, Rose Bellemare. Comme notre excursion ne se déroulait pas très loin de chez nous et de notre école, on a pu ainsi découvrir la nature et les paysages locaux. »
Toute une année pour se préparer
Les cinq jours en kayak de mer sont évidemment l’apothéose d’une année passée à préparer le voyage et à tisser des liens. Une fois par cycle de neuf jours, dès l’automne, les élèves, inscrits sur une base volontaire, se rencontrent durant l’heure du midi. Les ateliers menés par Pierre Harel se concentrent autant sur les connaissances techniques liées au kayak que sur l’apprentissage de la vie en groupe.
Chaque activité se fait dans l’optique de la devise d’Oumiak, « Où l’un va, tous nous allons », tirée d’un des films de voile préférés de Pierre Harel : Rafale blanche. L’emphase est mise sur l’entraide et la coopération entre les ados. Ainsi, une formation sur les aléas de la météo sera suivie d’un atelier pour surmonter sa timidité. On parlera autant d’alimentation en plein air ou d’équipement de camping que d’astuces pour aller vers l’autre. Des entraînements physiques, une fois par semaine, après l’école, complètent le programme.
Des élèves transformés
Pierre Harel ne s’en cache pas : son but est de faire vivre aux élèves une expérience marquante. Pour lui, plein air et pédagogie vont de pair: « On peut utiliser l’environnement pour apprendre, et ce, dans toutes les matières. »
Si le kayak demeure pour la plupart d’entre nous un loisir, il en va tout autrement pour Pierre Harel. « C’est un excellent moyen d’apprendre à vivre avec les autres. La vie en groupe pendant plusieurs jours peut se comparer à une microsociété dans laquelle l’effort de chacun est essentiel au bon déroulement de l’expédition. »
Un avis chaudement partagé par Rose Bellemare : « Cette expérience m’a permis de vraiment créer des liens avec d’autres personnes, des gens avec qui je n’aurais jamais pensé pouvoir m’entendre. Le projet Oumiak m’a apporté de nouvelles relations d’amitié. »
Un autre élève a déjà avoué à Pierre Harel que son voyage en kayak de mer lui avait permis de passer pour la première fois de sa vie une journée sans regarder la télé. « Même si ça reste leur choix, on les invite à ne pas apporter leur téléphone en voyage, explique Pierre Harel. S’ils écoutent leur musique ou textent leurs amis qui ne sont pas là, ils ne vivent pas le moment présent. Quand j’entends par la suite que le fait de passer du temps sans leur appareil intelligent leur a fait du bien, je trouve que ça en dit long sur nos jeunes. »
Définitivement accro au plein air et à ses bienfaits, Pierre Harel a plein d’autres idées en tête pour l’avenir : « Avec mes collègues, on aimerait développer un programme de voile pour les élèves en adaptation scolaire de 1ere et 2e secondaire. On voudrait qu’ils apprennent dans l’environnement et de l’environnement. »
Pour l’heure, sa plus grande fierté demeure la tradition Oumiak qui se déploie, un peu plus fort, d’année en année. « Ça nous donne un sentiment d’appartenance à notre école, se réjouit Rose Bellemare. Les générations précédentes d’Oumiak nous ont donné le goût de faire ce voyage et nous voulons donner le goût aux prochaines générations de le faire. Désormais, nous avons chacun de belles histoires à raconter et nous en sommes fiers ! »