Depuis le début de la crise sanitaire, l’achalandage des transports collectifs a radicalement chuté partout à travers le monde. Plusieurs villes estiment d’ailleurs que l’onde de choc va se répercuter bien au-delà d’un éventuel retour à la normale, tout en redoutant la revanche de l’auto solo. Et elles se préparent déjà à contrer cette catastrophe annoncée.
À moyen terme, tant que les consignes de distanciation sociales vont demeurer en vigueur, il est évident que les transports collectifs ne pourront pas déplacer le même volume de passagers. Or, avec la reprise graduelle des activités économiques, cette contrainte risque d’engendrer de nombreux impacts sur les autres modes de transport. Et, à plus long terme, méfiance oblige, on doit s’attendre à une désaffection des usagers habituels.
D’autre part, la baisse d’achalandage, qui tourne en moyenne autour de 80 %, est en train de vider les coffres des agences de transport. En moins de deux mois, le manque à gagner se traduit par des pertes financières qui alarment déjà les municipalités. C’est par exemple le cas des villes de Longueuil, Brossard, Boucherville, Saint-Lambert et Saint-Bruno-de-Montarville qui, dans une lettre datée du 16 avril, réclamaient au gouvernement provincial un plan de sauvetage.
Prochaine station
Selon certains analystes, le monde dans lequel nous vivions, il y a deux mois, ne reviendra pas. Inutile d’espérer un retour à la normale de l’achalandage dans les transports collectifs, même à long terme. Ce qui remet en question leur modèle d’affaires tout comme leur pérennité. Or, c’est sans doute l’occasion ou jamais d’en redéfinir la fonction dans nos sociétés !
Au fond, la COVID-19 nous oblige à redéfinir certaines priorités. Peut-être avons-nous fait fausse route à vouloir mesurer l’efficacité du transport collectif en fonction du nombre de ses usagers et des taux d’occupation de ses véhicules ? Il serait temps, au contraire, de le reconnaître pour ce qu’il est : un service essentiel, aussi bien en temps de crise qu’en temps normal, bien que personne ne sache de quoi sera fait notre « nouveau normal ».
Dernièrement, certains ont raillé ces autobus presque vides pour mettre en doute l’utilité du service. Pourtant, les autobus comme le métro permettent à de nombreux employés de se rendre sur leurs lieux de travail où ils assurent des services essentiels à la population : dans les hôpitaux, les résidences, les épiceries, les pharmacies. Des travailleurs essentiels, donc, mais souvent mal rémunérés et qui dépendent du transport en commun. Que la société, en général, finance une bonne partie de leurs déplacements n’est au fond qu’un juste retour des choses.
Modérer nos transports
Nous ne pouvons donc pas faire l’économie du transport en commun ni le soumettre au diktat de l’économie de marché. D’autre part, on ne doit pas s’attendre de sitôt à ce qu’il puisse jouer son rôle aussi efficacement qu’auparavant. De nombreuses villes en sont conscientes et s’y préparent déjà. Car, par-dessus tout, elles redoutent que la diminution inévitable de la part modale du transport collectif ne vienne gonfler les effectifs des usagers de l’auto solo.
Milan, une ville où la COVID-19 a frappé très tôt et très fort, est l’une des premières qui aient procédé à l’annonce d’un ensemble de mesures pour empêcher le retour en force de l’automobile. Un défi de taille considérant que les autorités de la ville, pour des raisons de distanciation physique, doivent limiter l’achalandage du transport collectif aux deux tiers de ses capacités initiales.
Parmi les mesures envisagées, Milan va donc retrancher, dès cet été, des voies de circulation sur 35 km du réseau qui sillonne son centre-ville afin de les redonner aux piétons et aux cyclistes. L’avantage est double, car cette mesure de réallocation de la chaussée favorise le transport actif tout en rendant beaucoup moins attrayante la conduite automobile. La Ville compte en outre sur les entreprises pour que, dans la mesure du possible, elles encouragent la pratique du télétravail. Et, dans le cas contraire, qu’elles décalent les horaires de travail pour étaler les heures de pointe. Pour aplatir la courbe !
Paver la voie du transport actif
Déjà, plusieurs grandes agglomérations européennes ont emboîté le pas de la ville de Milan. Londres, par exemple, entend décupler le nombre de déplacements à vélo et quintupler ceux qui sont faits à pied en retranchant des voies de circulation normalement réservées aux automobiles. De son côté, Paris veut, entre autres mesures, rapidement procéder à l’ajout de 650 km de voies cyclables. Comme l’écrit Christophe Najdovski, son maire adjoint et responsable des Transports : « La Ville de Paris travaille en concertation avec les associations d’usagers à la réalisation de nouveaux aménagements cyclables inspirés de l’urbanisme tactique, simples et rapides à mettre en œuvre, pour accompagner la demande de déplacements à vélo post-confinement ».
Et les exemples du genre ne manquent pas. À preuve, l’organisme United Nations Economic Commission for Europe vient tout juste de publier un rapport qui recense 22 mesures exemplaires mises en pratique dans 17 pays pour des villes du futur à faible flot de voitures. Bref, en grande majorité, les élus municipaux européens souhaitent tout faire en leur pouvoir pour que l’après-confinement n’engendre pas le retour de la congestion et de la pollution.
L’urgence d’agir
Aux États-Unis, un sondage confirme, comme le craignaient plusieurs, que 20 % des usagers des transports en commun ne souhaitent plus l’utiliser et que 28 % d’entre eux vont y recourir moins souvent, pour privilégier leur voiture. Une tendance que l’on peut imaginer aisément transposable chez nous et qui conduirait directement à un retour en arrière.
Consciente de la situation, la Ville de Montréal planche déjà sur un après-confinement dans lequel beaucoup plus d’espace sera accordé aux piétons, ainsi qu’aux cyclistes. À ce chapitre, citons en exemple les mesures annoncées par l’arrondissement de Rosemont pour décourager, dans ses rues, le trafic de transit. En s’inspirant librement des superilles de Barcelone, l’arrondissement va ainsi sécuriser environ 200 km de rues résidentielles, en plus d’ajouter une cinquantaine de kilomètres de pistes cyclables.
Reste à savoir si toutes ces mesures vont devenir permanentes. Si elles seront suffisantes pour compenser la diminution de l’achalandage des transports collectifs par l’augmentation du transport actif et, surtout, décourager l’utilisation de l’auto solo ? Ce que l’avenir nous dira, tôt ou tard, en souhaitant que le retour à la normale ne nous ramène pas 50 ans en arrière…