Saine alimentation

Insécurité alimentaire: la nouvelle politique alimentaire canadienne a-t-elle les moyens de ses ambitions?

Insécurité alimentaire: la nouvelle politique alimentaire canadienne a-t-elle les moyens de ses ambitions?

Lancée le 17 juin dernier à Montréal par la ministre fédérale de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, Marie-Claude Bibeau, la toute première politique alimentaire canadienne est certainement un premier pas vers un système alimentaire plus sain et durable pour tous. En dépit de la pertinence et des bonnes intentions de cette nouvelle politique, force est de reconnaître que la lutte à l’insécurité alimentaire demeure une tâche colossale qui exige des actions concertées et surtout, de solides investissements financiers.

La ministre Bibeau décrit la politique comme « une feuille de route » pour la réalisation de ses ambitieux objectifs. En effet, la politique alimentaire pour le Canada, Tout le monde à table !, mise sur quatre objectifs à court terme pour concrétiser sa vision d’offrir à tous les Canadiens l’accès à des aliments de qualité en quantité suffisante, nutritifs et diversifiés sur le plan culturel, et ce, tout en respectant l’environnement et en soutenant l’économie.

Les objectifs de cette nouvelle politique sont les suivants :

  1. Aider les collectivités canadiennes à se procurer des aliments sains ;
  2. Faire des aliments canadiens le premier choix au pays et à l’étranger ;
  3. Soutenir la sécurité alimentaire dans les collectivités autochtones et du Nord ;
  4. Réduire le gaspillage alimentaire.

politique alimentaire

Une politique qui exige des actions concertées

Pour y parvenir, les intervenants de divers domaines, tous impliqués à leur façon dans le système alimentaire sont appelés à travailler ensemble. Ce type de collaboration intersectorielle est d’ailleurs à la base d’une telle politique. « Une politique alimentaire va au-delà [des champs d’intérêt des] secteurs agricoles pour tenir compte de toute la chaîne agroalimentaire et des retombées de celles-ci sur les habitudes alimentaires, la santé, l’empreinte écologique, etc. », précise Gisèle Yasmeen, directrice générale du Réseau pour une alimentation durable (RAD).

Le Conseil SAM (Système alimentaire montréalais) abonde dans le même sens. « Il faut travailler sur plusieurs chantiers simultanément si on veut aborder l’accessibilité et la durabilité de notre alimentation, ajoute Richard D. Daneau, porte-parole du Conseil SAM et directeur général de Moisson Montréal. Il faut aussi qu’il y ait une prise de conscience mondiale pour réorienter l’humain et ainsi réorienter les efforts. » Cela rejoint d’ailleurs la mission du Conseil SAM, soit d’assurer un leadership régional en matière d’alimentation en mobilisant les acteurs, en conseillant les décideurs et en appuyant des initiatives structurantes.

Mais la politique alimentaire canadienne a-t-elle les moyens des ambitions ? Rien n’est moins sûr, quand on constate que pour atteindre ces objectifs d’envergure, l’annonce de la nouvelle politique nationale n’est accompagnée que d’un maigre budget de 134,4 millions de dollars sur cinq ans. En comparaison, le gouvernement du Québec a pour sa part investi 349 millions sur cinq ans au moment de l’annonce de sa politique bioalimentaire, Alimenter notre monde, l’année dernière.

politique alimentaire canadienne

Se procurer des aliments sains, c’est bien…

L’accès aux aliments sains produits de façon durable est certainement un objectif de société à mettre en priorité pour le bien de notre santé et de celle de la planète. À l’heure actuelle toutefois, ce scénario s’apparente à un mirage alimentaire pour plusieurs.

Au Canada en 2012, 8,1 % de la population vivait en situation d’insécurité alimentaire, que l’on peut définir comme l’incapacité ou l’incertitude à s’approvisionner en aliments nutritifs ou satisfaisants. Une statistique choquante qui représente 2,8 millions d’individus. Le portrait est similaire au Québec : 8,3 % de la population, soit plus de 670 000 personnes. Le Nunavut, pour sa part, était de loin le territoire le plus touché, avec un taux d’insécurité alimentaire de 36,1 %. La notion d’accessibilité n’est donc pas qu’une question de prix ; elle touche également celle de la proximité.

Pourtant, l’opinion publique est favorable aux mesures en faveur de la saine alimentation et de l’agriculture durable. Un rapport publié par le RAD en mai 2019, « Une consommation durable pour tous », rapporte notamment que les Canadiens démontrent un intérêt à s’approvisionner en aliments frais, peu transformés et produits de façon durable. Toutefois, « les populations les plus vulnérables sont freinées par des questions de revenus insuffisants pour acheter des aliments de qualité, ajoute Madame Yasmeen. […] Vient ensuite la difficulté à identifier lesdits produits. »

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Au-delà de l’éducation, la compréhension

En effet, la littératie en santé représente elle aussi un enjeu majeur dans l’accès à la saine alimentation. L’Agence de santé publique du Canada la définit comme la « capacité de trouver, de comprendre, d’évaluer et de communiquer l’information de manière à promouvoir, à maintenir et à améliorer sa santé dans divers milieux au cours de sa vie. » Mais au pays, 60 % des adultes et 88 % des personnes âgées affichent un faible niveau de littératie en santé. Le portrait est similaire au Québec. Selon les données de 2003 de l’Institut de la statistique du Québec, la majorité (66 %) de la population de 16 ans et plus, n’a qu’un niveau très faible ou faible de littératie en santé, soit 39 % et 27 % respectivement.

De toute évidence, il est impératif de tenir compte du faible niveau de littératie en santé de la population dans toutes les campagnes de sensibilisation en santé publique.

Dans un contexte alimentaire, le niveau de littératie en santé se reflète notamment dans la capacité de reconnaître les aliments sains, savoir où et comment se les procurer, en plus de mettre en application ses aptitudes culinaires pour les cuisiner. C’est donc une chose de rendre les aliments sains plus accessibles à tous, mais il faut aussi savoir quoi en faire et comprendre la pertinence de les inclure à table. Sans quoi ces mesures risquent de n’être qu’un autre coup d’épée dans l’eau.

« Pour le RAD, [la littératie alimentaire] est une question essentielle, insiste Madame Yasmeen. Par exemple, notre Coalition pour une saine alimentation scolaire souligne son importance pour les écoliers du primaire et du secondaire. Savoir se nourrir sainement et savoir d’où viennent nos aliments, comment les cultiver et les préparer sont des compétences précieuses ! »

La nouvelle politique alimentaire canadienne a pour l’instant peu de moyens pour parvenir à ses fins. Les différents acteurs du monde de l’alimentation devront aussi s’asseoir à la même table, afin d’agir concrètement pour le bien de la santé de tous les citoyens, particulièrement ceux vivant de l’insécurité alimentaire. Par chance, ces enjeux importants sont maintenant à l’agenda du gouvernement fédéral. Ils devraient donc se retrouver plus souvent à l’ordre du jour des décideurs.

Du financement pour vos projets?

À partir du 15 août 2019, les organismes admissibles sont invités à soumettre une demande de financement allant jusqu’à 25 000 $ pour les projets communautaires qui améliorent l’accès à des aliments salubres, sains et diversifiés sur le plan culturel.

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