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Laissez-moi vous raconter l’histoire d’une mitaine perdue. J’imagine que vous en avez croisée une en hiver, au milieu d’un trottoir enneigé ou bien déposée sur un poteau par un passant bienveillant. La mitaine perdue est-elle un événement fortuit, un oubli volontaire, un poème vivant, la trace d’un enfant ? Peut-on y lire un refus de se couvrir, un accueil radical de la saison hivernale ou toutes ces possibilités ?
L’histoire de La mitaine perdue, dont je vous parle ici, c’est celle d’une intervention in situ réalisée dans le cadre d’une résidence artistique au Campus de la transition écologique, lors de la relâche 2023, et qui réunissait les expertises de Hiver en nous* et de Metalude**. Une invitation gratuite lancée aux enfants à s’approprier le stationnement P8 du Parc Jean-Drapeau (une des portes d’entrée de La Ronde) à travers le jeu. C’était une occasion de réfléchir et de se projeter dans les possibles et les futurs de la ville d’hiver inclusive des enfants. L’expérience fût un véritable succès et a réuni une cinquante de participant.e.s.
Les affinités naturelles des deux organismes ont mené à cette première collaboration réussie, qui a permis d’offrir aux enfants et à leurs familles une expérimentation hivernale urbaine. Le but était de jouer et de révéler le potentiel d’usages, d’imaginaires et de récits d’un espace de stationnement détourné en terrain d’aventures éphémère à l’aide de matériaux de jeu ouverts et polyvalents. L’expérience était conçue pour des enfants âgés de 3 à 8 ans, bien que tous les enfants étaient les bienvenus.
Cônes orange, pneus de voiture ou de vélo, bouteilles de lave-glace nettoyées et transformées en pelle, balais à neige, panneaux signalétiques de chantier, et d’autres éléments comme des blocs de bois à assembler, des moules et contenants de toutes formes, du tissu, des craies, etc., voilà, en partie les matériaux récupérés ou prêtés par le parc qui ont été mis à la disposition des enfants. Pour qu’ils expérimentent en toute liberté, dans cet espace où ils pouvaient jouer avec de la neige. « Sur un terrain d’aventures éphémère, les enfants façonnent leur jeu et l’environnement avec des matériaux ordinaires et détournés. » confie l’équipe de Metalude
Pourquoi l’espace de stationnement ?
Durant ma résidence, qui s’est échelonnée de novembre 2022 à mai 2023, j’ai arpenté à la marche les 2,09 km2 de l’archipel de l’île Sainte-Hélène et de l’île Notre-Dame pour documenter ce territoire qui se transforme au fil des saisons. Mes intentions, au départ, étaient : d’expérimenter et mieux comprendre la relation à la fois physique, émotive, affective, sensorielle avec l’hiver urbain insulaire; de développer des expressions d’attachement individuelle et collective au territoire et la nature en hiver; et de faire émerger des utopies hivernales. Durant mes marches, j’avais toujours avec moi un carnet de notes et un appareil photo pour m’accompagner dans mes observations.
Très rapidement, j’ai constaté qu’une grande proportion d’espaces est inutilisée et inoccupée l’hiver au parc. Aucune présence humaine, comme plusieurs autres endroits tels que les piscines publiques ou les terrains de sports extérieurs. Des lieux qui, l’été, on s’imagine facilement bondés, mais qui, l’hiver, sont au contraire complètement délaissés. Des lieux qu’on finit même par oublier et qui disparaissent de nos esprits pendant les 4 à 6 mois d’hiver. En accordant une attention particulière au stationnement P8, porte d’entrée de La Ronde, cet espace est devenu pour moi un lieu de fascination et un terrain d’expérimentation au grand potentiel pour le jeu libre en hiver.
D’une part, cette surface vaste et étendue, couverte de neige blanche et immaculée, offre un point de vue privilégié sur le Fleuve, le pont Jacques-Cartier et la Ville de Montréal. D’autre part, c’est comme si l’arrivée de l’hiver était une invitation à démocratiser l’usage de cet espace urbain et à le vivre d’une manière inexplorée jusqu’ici. En visitant ensuite l’espace avec l’équipe de Metalude, il est devenu clair pour nous qu’on allait se lancer dans le détournement de cet espace de stationnement pour en faire un terrain d’aventures éphémères.
Actualiser le patrimoine du jeu de Montréal
Grâce à Metalude, l’héritage de l’Expo 67 a même pu être souligné et surtout transmis aux enfants. « Il y a 56 ans, des enfants des quatre coins de la ville jouaient avec ces blocs que l’architecte paysagiste Cornelia Hahn Oberlander avait conçus pour Expo 67. Il y a 6 ans, à l’occasion du 50e anniversaire d’Expo 67, la collaboration artistique montréalaise Leisure a recréé les blocs pour une installation au Musée d’art contemporain de Montréal. Les blocs ont ensuite vécu au Champ des Possibles, grâce à l’intendance de Le Lion et la souris / The Lion and The Mouse. Ils ont également voyagé au Musée d’art de Joliette et au Village au Pied-du-Courant, sur les rives du fleuve, nous explique l’équipe de Métalude. » Quelle symbolique que de faire à nouveau voyager ces blocs, mais cette fois-ci vers le lieu occupé par les originaux : sur le site d’Expo 67.
Les blocs en bois, en raison de leur trop grande taille pour un seul enfant, incitent naturellement l’entraide, la collaboration et la pensée collective chez les enfants. Cette riche expérience de jeu partagé, à travers ce dispositif simple et ingénieux, a été marquante et suscite la réflexion sur la manière de le reproduire afin qu’il devienne un équipement courant, permanent et quatre-saisons dans les parcs.
Placer les blocs (reproduction inspirée des blocs originaux) au cœur d’un stationnement enneigé et vide au Parc Jean-Drapeau a permis à la fois une mise en valeur de l’histoire ludique de Montréal et une réactivation de cette mémoire.
Imaginons ensemble les aventures d’une mitaine perdue dans la ville
Histoire de mieux comprendre ces belles expériences vécues par les enfants avec la ville, l’hiver et le jeu, nous avions aussi aménagé un espace inédit : le « 311 - DES ENFANTS » pour colliger les requêtes de ces jeunes citoyens et citoyennes concernant leur ville vécue en hiver.
Voici quelques questions pour lancer la discussion avec les enfants et imaginer les aventures d’une mitaine perdue dans la ville.
- Comment ton quartier se transforme-t-il en hiver ? (Par exemple : ta maison, ta ruelle, ta rue, ta cour d’école ou de garderie, ton parc, etc.)
- Qu’est-ce qu’elle nous raconte sur la ville vécue en hiver ?
- À quels lieux as-tu accès ou pas accès ?
- Dans quel endroit inusité pourrions-nous la retrouver ?
Cette intervention inédite conçue par Hiver en nous et Metalude a su marquer l’imaginaire, à la fois des enfants et des parents présents. À un point tel, que les traces laissées par la Mitaine perdue ont eu le pouvoir de créer, en hiver, de nouvelles histoires et potentialités autour du stationnement ou même des cônes orange, souvent synonyme de contraintes dans la ville. Le jeu et l’expérience des enfants ne sont pas à négliger dans la compréhension de notre relation à l’hiver. Ils nous permettent de voir et faire autrement.
Vous avez des commentaires, des idées pour repenser les usages des stationnements ou de tout autre espace public au rythme des saisons ? Faites-nous-en part. Nous sommes curieux de savoir comment vous aimez habiter la ville, surtout en hiver.
Sauf mention contraire, toutes les photos de cet article sont signées : Sophie Bertrand
*Hiver en nous, a vu le jour officiellement en 2020 au cœur de la pandémie. La démarche est inspirée de mon expertise en recherche-intervention et création des 10 dernières années et de ma réflexion critique sur le concept de nordicité urbaine. Aujourd’hui, je poursuis ce grand chantier au doctorat en études et pratiques des arts à l’UQAM avec l’objectif de traduire l’humanité de l’hiver urbain.
**Métalude est un OBNL, fondé par Margaret Fraser et Stéphanie Watt, dont la mission est de faciliter la pleine participation des enfants dans la sphère publique. Leur vision : s’engager auprès des enfants, planifier pour le jeu, développer des politiques inclusives des enfants.
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La mitaine perdue
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