Sport et loisirs

Un plateau sportif mobile pour rejoindre les jeunes directement dans leur quartier

Un plateau sportif mobile pour rejoindre les jeunes directement dans leur quartier

Ils ont entre 6 et 16 ans et ils jouent au foot en pieds de bas sur des tapis bleus installés dans leur quartier, à Nice. Tennis-ballon, danse hip-hop, jeux d’opposition, karaoké, il y en a pour tous et toutes et ils en redemandent. Ce plateau sportif mobile, polyvalent et gratuit, c’est l’idée de Jean-Michel Deya, fondateur de l’association Prévention Éducation Sport.

Il est passionné, intarissable et particulièrement bien placé pour offrir des activités sportives gratuites aux jeunes du quartier populaire des Moulins
à Nice : Jean-Michel Deya y a grandi, et c’est par le sport qu’il a découvert
sa voie. Rencontre avec un homme qui a une compréhension fine des besoins
des jeunes avec qui il joue au foot en pieds de bas.

100⁰ – D’où vient cette ingénieuse idée d'un plateau sportif mobile ?

Jean-Michel Deya : On m’a demandé de trouver une façon innovante d’animer la place des Amaryllis, située dans le quartier populaire des Moulins, à Nice. Cet endroit avait été déserté par les résidents, car il était devenu un lieu de petite délinquance et de « rodéos » de scooters. Les pouvoirs publics m’ont contacté parce que je travaillais déjà dans plusieurs associations du quartier, à titre d’éducateur sportif.

En 2012, j’ai donc créé Prévention Éducation Sport avec mon frère, et nous avons choisi de réinvestir cet espace public en offrant des activités sportives gratuites dans le but de retisser des liens sociaux. Depuis, nous nous installons dans plusieurs endroits stratégiques du quartier durant les vacances scolaires.

Avez-vous été bien accueillis ?

Oui ! Ça a tout de suite très bien marché, parce qu’on répondait à un réel besoin. Quand il n’y a rien dans un quartier et qu’on crée un espace ludique, gratuit et libre, ça fonctionne. C’est devenu un rendez-vous phare : lorsque le plateau sportif est là, la place prend vie.

Mais en même temps, on se glisse sans jugement dans la vie du quartier. Par exemple, on n’empêche pas les scooters de passer : on leur fait simplement un petit chemin balisé pour qu’ils puissent quand même traverser la place.

« Communication, coopération, entraide, respect, autonomie : à travers le jeu et l’activité physique, le plateau sportif est un outil d’épanouissement personnel et social. »

Concrètement, ça se passe comment ?

Je travaille avec deux éducateurs sportifs diplômés, deux éducateurs spécialisés et de jeunes bénévoles. Nous installons les tapis bleus, sortons le matériel et proposons différentes activités comme les jeux d’opposition (une variante de la lutte), le basket, le tennis-ballon, le foot (soccer), le hip-hop, etc.  Nous sommes là pendant les vacances scolaires de 14 h à 17 h et de 17 h à 20 h l’été.

Nous organisons une cinquantaine de plateaux par an et accueillons environ 150 jeunes chaque fois. C’est bien plus qu’une animation de pied d’immeuble, parce que le partenariat avec les éducateurs spécialisés est très étroit et que nous sommes tous convaincus que les activités sportives sont de très bons vecteurs d’estime de soi et de confiance en soi auprès des jeunes des quartiers défavorisés.

« À certains jeux, comme la boule de feu, nous sommes assez habiles pour faire gagner qui nous voulons, par exemple un jeune en situation d’échec, repéré par un éducateur spécialisé. Se faire applaudir par les autres, ça a l’air tout bête comme ça, mais c’est tellement important ! »

Quelle forme prend la collaboration avec les éducateurs spécialisés ?

Leur présence sur place crée un contexte très favorable pour soutenir les jeunes lorsque le besoin se fait sentir. D’une part, en étant sur le plateau sportif, l’éducateur partage avec eux des moments où il n’est pas en situation problématique. D’autre part, lorsqu’un jeune a besoin d’aide, on gagne du temps, parce que le lien de confiance avec l’éducateur est établi, ce qui facilite l’intervention.

Les jeunes bénévoles, qui sont souvent nos anciens élèves de judo et de lutte, viennent nous donner un coup de main pour l’animation. Nous payons la formation qui leur permet d’obtenir un BAFA (Brevet d’aptitudes aux fonctions d’animateur). Pour ceux qui veulent aller plus loin, nous prenons aussi en charge le coût de la formation BAPAT (Brevet d’Aptitude Professionnelle d’Assistant Animateur Technicien).

Et les filles participent bien ?

Au début, il n’y avait pas de filles, car elles ne se sentaient pas en sécurité ou à l’aise dans cet espace public. Après un an, les gens ont vu qu’il n’y avait pas d’histoires et les filles ont commencé à venir. De plus, l’association est financée par le programme national Ville, vie, vacances, dont le but est de faciliter l’accès aux loisirs et qui fait de l’intégration des filles une priorité.

Nous visons une mixité 50/50 : nous n’y sommes pas encore, mais nous y travaillons. Et nous ne voulons pas systématiquement séparer les filles des garçons durant les activités. La danse hip-hop animée par un éducateur sportif masculin, mais aussi les jeux d’opposition, fonctionnent bien à cet égard. Et, en collaboration avec l’association locale Éveil ton art, nous organisons, par exemple, des karaokés avec chorégraphie, une activité appréciée autant par les garçons que par les filles.

Vous avez aussi une équipe de soccer féminine…

Oui ! Nous n’avons pas voulu imposer des équipes mixtes, mais nous avons mis en place une équipe de filles, les Girls Power, qui participe à tous les tournois. La mixité sur le plateau de soccer s’est installée progressivement, grâce à une stratégie toute simple : quand l’équipe féminine est en difficulté, on demande à un garçon doué de leur venir en aide, ce qui lui permet de jouer deux fois. Ce sont des détails comme celui-là qui font la différence et qui influencent positivement les perceptions et les relations filles-garçons.

Comment votre association est-elle financée ?

Nous travaillons en partenariat avec d’autres associations locales et nous recevons 8000 euros par année du programme Ville Vie Vacances. Le plus difficile c’est de pérenniser l’association, mais comme je gagne ma vie comme professeur d’éducation physique, je n’ai pas le temps de solliciter d’autres bailleurs de fonds.

Je suis toutefois en train de monter un projet à l’échelle de la ville, qui pourrait contribuer à la pérennité de Prévention Éducation Sport. Des jeunes d’autres quartiers sont venus nous demander de déployer les plateaux sportifs et artistiques dans leur coin. Je suis donc en train de conceptualiser la démarche pour qu’elle soit transférable.

Qu’est-ce qui vous motive ?

Je suis né dans ce quartier et j’y ai grandi. C’est le sport qui a ouvert mes horizons et c’est ce que je veux offrir aux jeunes. Si je le pouvais, je serais éducateur sportif de quartier à plein temps, mais il s’agit trop souvent d’un emploi précaire, qui dépend des subventions accordées ou non, reçues ou non à temps...

Et puis, dans tout ça, l’idée n’est pas de faire du sport pour le sport, mais de s’en servir comme moyen d’épanouissement. C’est ça qui me fait vibrer : accompagner les jeunes, qui, faute d’un environnement socioéconomique optimal, ont de la difficulté à s’épanouir, à trouver leur voie et leur juste place dans la société.

Le plateau sportif va jusque-là ?

Oui, c’est ce que nous visons : par exemple, en février et en avril, nous organisons des journées d’orientation, pour inciter les adolescents à poursuivre leur parcours scolaire après 16 ans. Les centres de formation d’apprentis (CFA) du quartier viennent sur place leur donner de l’information, sur les secteurs du bâtiment, de la boulangerie, de l’esthétique, etc.

Le secteur bancaire est aussi une possibilité, grâce à Déclics Sportifs. Il s’agit d’un programme très poussé d’insertion professionnelle initié en 2015 par l’Agence d’éducation par le Sport (APELS), en partenariat avec le Crédit Lyonnais et le Crédit Agricole.

Cette démarche de 18 mois est proposée à de jeunes adultes inscrits dans un club sportif. Ils sont repérés parce qu’ils sont motivés, assidus, respectent les règles et ont un bon esprit d’équipe, tout en peinant à trouver un emploi satisfaisant. Ils sont pris en main durant un mois par l’APELS, puis accompagnés de façon étroite et bienveillante par leur tuteur sportif et leur parrain en entreprise.

Je suis le coordonnateur de Déclics Sportifs à Nice et je suis vraiment heureux de voir que mon action dans le quartier des Moulins porte fruit : 6 des 15 jeunes participants à ce programme ont fréquenté les plateaux sportifs de Prévention Éducation Sport.

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