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Une ferme sur un toit qui surplombe la ville, un citadin qui élève trois poules pondeuses dans sa cour, ou des voisins unis autour d’un jardin collectif, l’agriculture urbaine a le vent en poupe de Montréal à Singapour.
Il faut dire que les nombreux bénéfices que l’agriculture procure aux communautés plaident en sa faveur : produits frais et locaux, verdissement des quartiers et amélioration de la qualité de vie des résidents, création d’emplois et sensibilisation à une alimentation saine, renforcement des liens sociaux, réduction des ilots de chaleur et de l’imperméabilité des sols, etc. Et si pour l’heure, l’agriculture urbaine ne contribue à répondre qu’à une faible part des besoins alimentaires des villes, son rôle multifonctionnel explique son engouement partout dans le monde.
Du lopin de terre à la ferme haute technologie
L’essor des fermes urbaines commerciales illustre à lui seul l’évolution de l’agriculture urbaine au cours des dernières années. Son écosystème se caractérise d’ailleurs par une grande variété de pratiques. À commencer par la culture en pleine terre, celle des vergers et micro-fermes d’un hectare et moins qui adoptent différentes pratiques, de l’agriculture conventionnelle à la permaculture. Les potagers sur toit intègrent eux aussi le paysage urbain. La culture en bac est en l’occurrence la plus simple et la plus courante. On trouve parmi ses utilisateurs des restaurants et des supermarchés, comme l’IGA Duchemin à Ville Saint-Laurent qui offre directement à sa clientèle des fruits et légumes biologiques en saison.
D’autres modèles d’agriculture émergent, plus inédits encore : la ferme Growing Underground, par exemple, située dans un ancien tunnel anti-aérien à Londres, ou La Caverne installée dans un stationnement en sous-sol à Paris. Ces espaces souterrains offrent un environnement adapté à la culture de champignons ou d’endives. Et pour élargir leur gamme de produits, ces fermes utilisent des technologies, comme l’hydroponie en bacs équipés de lampes LED à basse consommation, propices notamment à la culture de micropousses.
L’innovation technologique est précisément un facteur important dans le développement de l’agriculture urbaine commerciale. Elle apporte des solutions capables de compenser les rigueurs du climat et la rareté de terres cultivables en ville. À l’instar de la culture en conteneurs que plusieurs compagnies développent à travers le monde grâce à l’hydroponie ou l’aéroponie - une variante de l’hydroponie où les racines des plantes sont à l’air libre. Ces technologies ont en effet l’avantage d’assurer une production de micropousses, petits fruits, fines herbes ou salades, quel que soit l’endroit où elles sont implantées. Elles sont par ailleurs à l’origine de fermes à haut rendement, conçues elles aussi en environnement fermé et contrôlé. Plus nombreuses au fil des années, ces fermes 4.0 conquièrent les mégalopoles à Singapour, New-York, Shangaï ou Tokyo. Elles sont d’ailleurs au fil du temps toujours plus grandes, et pour l’heure, la plus grande ferme intérieure en aéroponie, d’une dimension de 90 000 pi2, est sur le point d’être construite dans la ville d’Abu Dhabi à Dubaï.
Les toits des grands édifices demeurent évidemment des surfaces intéressantes à exploiter pour les grandes fermes commerciales, qu’elles soient couvertes ou non. Et dans ce domaine, difficile de ne pas mentionner Lufa à Montréal, précurseur de serres hydroponiques installées sur toit. Dix ans après son lancement, l’entreprise inaugurait au printemps dernier une quatrième serre d’une surface de 163 000 pi2, équivalente à trois terrains de soccer. À Paris, un autre modèle verra bientôt le jour avec la ferme Nature Urbaine sur un toit d’une surface de 150 000 pi2. Son objectif: cultiver à l’air libre des fruits et légumes en combinant plusieurs techniques d’agriculture, dont l’hydroponique et l’aéroponie.
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La circularité des résidus comme outil d’impact positif sur l’environnement
D’autres solutions, tout aussi innovantes, s’inscrivent plus spécifiquement dans une démarche d’économie circulaire, où des résidus urbains intègrent le cycle de production. Le Québec fait preuve de créativité dans ce domaine, et notamment à travers la Centrale Agricole à Montréal. Cette coopérative en agriculture urbaine joue en effet un rôle de catalyseur pour des startups qui valorisent les résidus organiques et locaux dans leur production. Telles les drêches de brasseries qui deviennent substrat dans la culture de champignons ; les résidus de cette culture intègrent à leur tour l’alimentation d’insectes d’élevage ; cet élevage permet enfin de produire un fumier qui sert d’engrais à la culture maraîchère urbaine. La symbiose est parfaite. À l’image de l’aquaponie, une activité agricole qui combine hydroponie et pisciculture pour la production de poissons, de fruits et de légumes. La synergie entre l’élevage et la culture est rendue possible grâce au circuit fermé qui lie ces deux activités : les excréments des poissons servent d’engrais aux plantes qui redonnent une eau purifiée aux poissons, et le cycle recommence ainsi de suite. Ce type d’agriculture se développe actuellement partout dans le monde, à toutes les échelles, et notamment à Bruxelles, où la ferme Abattoir sur le toit d’une halle alimentaire s’étale sur une surface d’environ 43 000 pi2.
L’économie circulaire inspire parfois des projets plus étonnants, comme l’élevage d’une trentaine de vaches laitières sur une ferme flottante à Rotterdam. Véritable concentré d’innovations, la Floating Farm privilégie notamment la circularité des déchets, où les vaches sont nourries de résidus organiques des restaurants et brasseries et d’herbe coupée provenant des espaces verts de la ville. Ceux-ci profitent en retour du fumier de la ferme, en guise d’engrais.
L’agriculture urbaine, une valeur sociétale
Plus qu’une fonction nourricière, les initiatives d’agriculture urbaine ont la capacité de créer de l’impact social dans leur milieu. Une myriade de projets favorise en particulier l’inclusion sociale par la réinsertion de personnes marginalisées. À l’instar de la Citizen Farm à Singapour qui intègre dans son équipe des personnes avec une déficience intellectuelle, ou plus près de chez nous, l’Accueil Bonneau à Montréal qui initie des itinérants à l’apiculture pour prendre soin de son rucher. L’agriculture urbaine contribue aussi à la revitalisation des quartiers en déclin ou socialement défavorisés. L’Initiative d’agriculture urbaine du Michigan par exemple, un projet de plus d’un hectare de superficie, s’est développé sur d’anciennes friches industrielles à Détroit. Son objectif est de rassembler les communautés, pour transformer ce désert alimentaire en potager de plus de 300 variétés de fruits et légumes distribués gratuitement aux résidents du voisinage.
À Québec, l’approvisionnement de banques alimentaires en fruits et légumes frais et locaux est à l’origine d'une ferme urbaine dans le Vieux-Port de Québec, créée l’été dernier par l’OBNL Les Urbainculteurs. En pleine pandémie, d’autres projets d’agriculture urbaine ont vu le jour pour lutter contre la précarité alimentaire, exacerbée par la crise sanitaire. Des villes en Colombie-Britannique ou au Québec ont notamment transformé des espaces publics en potagers pour approvisionner les banques alimentaires. Tandis qu’en cours de confinement, l’ouverture des jardins communautaires et autres pépinières reflétait l’engouement soudain des citadins pour le jardinage. Et plus que jamais, mettait en lumière l’utilité essentielle de l’agriculture urbaine, véritable outil multifonctionnel au service des villes, ici ou ailleurs.