Santé et société

L'intervention en contexte de nature et d'aventure dans la mire des chercheurs: entrevue avec Christian Mercure

L'intervention en contexte de nature et d'aventure dans la mire des chercheurs: entrevue avec Christian Mercure

Les programmes d’intervention en contexte de nature et d’aventure existent depuis une vingtaine d’années au Québec, mais ils suscitent de plus en plus l’intérêt des spécialistes de l’éducation et de la santé et celui des chercheurs. Professeur à l’Unité d’enseignement en intervention plein air de l’Université du Québec à Chicoutimi, Christian Mercure peut se targuer d’être à l’avant-garde de la recherche et de la professionnalisation de cette approche novatrice. Entrevue avec un expert passionné.

Christian Mercure Christian Mercure | Crédit photo: Benoit Brühmüller

100°. Vous êtes enseignant et chercheur, mais vous avez également une bonne expérience de terrain

Christian Mercure. Oui, j’ai un gros vécu de praticien. J’ai fait un baccalauréat en plein air, donc ma première formation était plus de guide d’aventure sur le terrain, mais rapidement je me suis intéressé à la portée éducative du plein air. En 2005, j’ai fondé avec des collègues la Coopérative INAQ (Intervention par la nature et l’aventure Québec) qui montait des programmes d’expédition sur mesure pour permettre aux jeunes avec des difficultés de se développer et de se réaliser par la nature et l’aventure. J’ai moins le temps actuellement de faire des interventions sur le terrain, mais ce qui me satisfait beaucoup c’est d’accompagner mes étudiants dans l’élaboration, l’implantation et l’évaluation de programmes d’intervention.

En 2005, vous étiez parmi les pionniers de l’intervention en plein air

Les premières initiatives d’intervention en contexte de nature et d’aventure remontent à 1996 avec la fondation Sur la pointe des pieds. Entre 1995 et 2005, il y a eu peu d’initiatives formelles, mais actuellement il y a une bonne vingtaine d’organismes. Il y a une expression en anglais qui dit « Let the mountains speak for themselves. » On n’est plus dans ce paradigme-là. La nouvelle génération emmène cela à un autre niveau, plus rigoureux et plus structuré.

À l’Université du Québec à Chicoutimi, on offre un baccalauréat en intervention plein air depuis plusieurs années et, en 2016, on a mis sur pied un programme d’études supérieures spécialisées (DESS) en intervention par la nature et l’aventure. Ce programme est ouvert aux étudiants qui ont terminé leur baccalauréat, mais également aux professionnels en exercice. On a des étudiants qui sont des enseignants en éducation physique et à la santé, des professionnels en adaptation scolaire, des psychologues, des médecins, donc des gens qui arrivent avec leurs outils d’intervenant et leurs méthodes différentes. C’est très riche parce que ça crée une communauté d’apprentissage avec une perspective multidisciplinaire.

intervention thérapeutique par le plein air Fondation Sur la pointe des pieds | Crédit photo: Chantale Lecours

Quand on s’intéresse à cette approche, on voit toutes sortes de dénominations : éducation par la nature, intervention psychosociale en nature, thérapie d’aventure...  Est-ce qu’on parle de la même chose ?

C’est l’une de mes préoccupations actuelles. Je recense à peu près vingt dénominations différentes en français et, en anglais, je suis rendu à une centaine. Je collectionne ça comme d’autres collectionnent les timbres ! Au Québec, on parle d’intervention en contexte de nature et d’aventure, l’abréviation INA, qui est une dénomination parapluie qui rassemble l’ensemble des différentes formes d’intervention. Ensuite, il y a des interventions qui vont être à portée éducative, d’autres plus développementales qui concernent l’acquisition de nouvelles habiletés sociales et, à la fin du spectre, il y des interventions qui sont vraiment de l’ordre de la thérapie, donc des approches psychosociales qui relèvent de la relation d’aide. Par ailleurs, on précise en contexte de nature et d’aventure plutôt que simplement parler de plein air, parce qu’on intuitionne que ce sont vraiment ces deux dimensions-là, la nature et l’aventure, qui vont générer des effets, mais pour des raisons différentes.

Justement, parlez-moi des effets des interventions en contexte de nature et d’aventure. Est-ce qu’ils sont bien démontrés par la recherche ? 

C’est une approche mise en place depuis plus d’une cinquantaine d’années, surtout dans les milieux anglo-saxons, aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande, en Australie, puis en Angleterre. Elle repose sur l’idée que des changements sont probables chez des individus lorsqu’ils sont exposés à des défis en nature, de l’aventure et de nouvelles opportunités de croissance. On a énormément d’études qui démontrent des retombées positives sur l’estime de soi, le sentiment d’efficacité, la confiance en soi, l’anxiété, la dépression, les dynamiques de groupe...  On sait également que l’exposition à la nature restaure l’attention et diminue le stress et on est capables d’associer différentes théories au concept d’aventure, comme la dissonance cognitive, l’état d’éveil optimal, l’apprentissage expérientiel.

On sait que ça marche et on est capables de le démontrer. On sait comment développer un programme, comment l’élaborer et on peut mesurer des résultats à la fin, mais on doit arriver à mieux comprendre ce qui agit. Ce type d’intervention est basé sur l’aventure et, par définition, l’aventure c’est ce qui arrive d’imprévu. Alors c’est un grand défi en recherche. Mon projet présentement, c’est d’identifier différentes dimensions, la dimension nature, la dimension activité physique, la dimension aventure et la dimension groupe, et d’essayer de voir comment ces différentes dimensions vont contribuer aux effets et aux apprentissages. Notre premier défi en recherche, c’est donc de mieux comprendre le processus. L’autre défi, c’est d’avoir plus d’études longitudinales pour voir comment tous ces effets se prolongent dans le temps.

En ce sens, j’organise un symposium international francophone de recherche sur le plein air qui se tiendra l’automne prochain à l’UQAC. Une cinquantaine de chercheurs de la francophonie, de la France, de la Suisse, de la Belgique, et de partout au Québec vont présenter leur projet de recherche sur les pratiques de plein air et de pleine nature.

sortie scolaire en plein air Crédit photo: Cindy Boyce (Association des camps du Québec)

Où en sommes-nous au Québec dans le développement de cette approche ?

Je pense qu’on est en retard, mais en même temps, on vit un moment charnière dans la professionnalisation de cette approche. Depuis deux ou trois ans, ça évolue rapidement particulièrement avec la création du RÉSEAU pour le développement psychosocial par le sport et le plein air, qui est un regroupement d’institutions, d’organismes, de chercheurs et d’intervenants intéressés par le sport et le plein air comme outil de développement humain. Les membres sont réunis à travers diverses équipes de travail et dans l’équipe projet plein air que je coordonne, notre action numéro un est de définir et d’encadrer la pratique des interventions psychosociales par le plein air. Il y a donc un grand désir de partager les connaissances et les enjeux pour faire évoluer la pratique. On vient de tenir en mai notre colloque 2019, dont les présentations sont disponibles sur le site.

aventure thérapeutique par le plein air Projet Niska en action | Institut DesÉquilibres (Pour 3 Points)

Est-ce que le RÉSEAU fait des représentations au sein des gouvernements ? Peut-on espérer combler le retard du Québec en intervention par le plein air ?

Comme membre du RÉSEAU, je suis représentant sur le groupe de travail plein air de la Table pour un mode de vie physiquement actif, qui est une initiative du gouvernement du Québec. Depuis quatre ou cinq ans, au ministère de l’Éducation, on sent vraiment une volonté de faire connaître et mieux comprendre les bienfaits du plein air sur la santé physique et mentale. C’est un changement majeur. Le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur a d’ailleurs produit un avis sur le plein air pour favoriser le développement et la promotion des activités de plein air au Québec.

Si je regarde en 2005, on était une dizaine d’hurluberlus à croire à ça. Maintenant c’est pris avec plus de sérieux. Du côté de la recherche, il y a de grands défis, mais la pratique est de plus en plus basée sur des données probantes. Et quand je vois les nouveaux organismes qui émergent, les programmes de formation, les événements pour partager les bonnes pratiques et la volonté du gouvernement de contribuer, je suis somme toute optimiste. Je trouve qu’on a vraiment fait beaucoup de chemin !

Organisations membres du RÉSEAU

Odyssée Aventures

Odyssée Aventures est une branche des Camps Odyssée qui développe des expéditions de plein air adaptées pour les jeunes issus de milieux défavorisés ou ayant des besoins particuliers.

Le Grand Chemin

Le Grand Chemin offre des services aux adolescents de 12 à 17 ans qui ont développé ou sont en voie de développer une problématique de toxicomanie, de jeu excessif ou de cyberdépendance. Depuis juin 2019, Le Grand Chemin intègre l’intervention par la nature et l’aventure à ses méthodes d’intervention.

Plein air interculturel

Au sein de l’Association récréative Milton-Parc et la Maison de l’Amitié, ce programme conçu pour les nouveaux arrivants utilise le potentiel des loisirs de plein air pour rassembler les gens, surmonter les différences culturelles et créer un sentiment d’appartenance.

Le Lion et la souris

Le Lion et la souris fournit une variété de programmes, d’ateliers, de formations et d’évènements communautaires basés sur les activités extérieures et sur le jeu libre, inspirés par les principes du mouvement « Forest School ».

Choisir sa marche

Choisir sa marche se spécialise dans l’accompagnement de gens ou d’équipes vivant des périodes de transition par la marche en milieu naturel, afin de les outiller à découvrir leur plein potentiel.

Garderie Nature

Garderie Nature est un service de garde utilisant la nature et la forêt comme principal outil pédagogique afin d’offrir un cadre de vie optimal pour le développement, le bien-être et l’atteinte du plein potentiel chez les enfants.

Au Grand air

Au Grand Air propose des ateliers d’éducation en nature et des activités liées à la pédagogie par la nature pour les enfants de 2 à 10 ans. Ce service s’adresse aux garderies et CPE, aux classes de maternelle, aux classes du primaire et aux groupes de scolarisation à la maison.

Crédit photo : Pour 3 points | Institut DesÉquilibres

Pour 3 points

Pour 3 points forme des coachs sportifs pour soutenir le développement d’habiletés de vie chez les jeunes. Le Laboratoire DesÉquilibres de Pour 3 Points a particulièrement comme mission de développer des savoirs pour enrichir les pratiques dans les secteurs de l’éducation, du développement social, du sport et du plein air.

Motivaction Jeunesse

Motivaction Jeunesse vise à prévenir le décrochage scolaire, la sédentarité et la délinquance chez les jeunes des milieux défavorisés et contribue à l’intégration des jeunes immigrants à travers des activités sportives et de plein air.

intervention thérapeutique par le plein air Fondation Sur la pointe des pieds | Crédit photo : Chantale Lecours 

Fondation Sur la pointe des pieds

La Fondation Sur la pointe des pieds aide les jeunes atteints de cancer à retrouver leur bien-être et à reconstruire leur estime de soi en relevant le défi d’une expédition d’aventure thérapeutique encadrée par des experts du milieu médical et du plein air.

Coopérative de solidarité de la Vallée Bras-du-Nord | Crédit photo : Claude Côté

Vallée Bras-du-Nord

Chaque année, la coopérative de la Vallée Bras-du-Nord embauche une dizaine de jeunes de la région de Portneuf qui traversent diverses problématiques de vie et met à profit le contexte de travail en nature et les activités de plein air comme outils d’intervention et d’éducation alternative.

Face aux vents

Face aux vents planifie le déroulement d’interventions par la nature et l’aventure visant à favoriser la santé mentale. Il permet  aux cliniciens d’utiliser l’aventure comme médium thérapeutique à l’intérieur d’un cadre optimal.

Ex Situ Expérience

Ex Situ Expérience propose des programmes d’intervention psychosociale par la nature et l’aventure. Chaque programme est approprié pour une grande variété de publics et pour des besoins différents qu’ils soient développementaux, éducatifs ou thérapeutiques.

Nurrait | Jeunes Karibus

Nurrait | Jeunes Karibus contribue au développement personnel et social des jeunes du Nunavik par l’entremise de programmes d’intervention en plein air leur offrant une occasion de se surpasser et une chance de se découvrir de nouvelles capacités.

* Cet article a été publié en partenariat avec le groupe de travail sur la promotion du plein air au Québec, qui relève d'un comité de la Table sur le mode de vie physiquement actif.

Communauté

Vous avez aimé l’article?

En quelques clics, joignez notre communauté et obtenez le meilleur de 100º grâce à des ressources personnalisées.

Créer mon profil
DEVENEZ AMBASSADEUR ET FAITES BRILLER LES PROJETS DE DEMAIN