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Depuis des décennies, on tente de convaincre les jeunes des bienfaits d’une saine alimentation. En vain ! Sans doute est-ce partiellement attribuable à leur esprit de rébellion. Et aussi au fait qu’ils sont constamment bombardés de messages publicitaires vantant les délices de la malbouffe. Alors, pourquoi ne pas les pousser à se révolter contre les stratégies de marketing qui les visent ?
Voilà exactement ce que des chercheurs ont réalisé, de manière expérimentale, auprès de jeunes de niveau secondaire 2. L’intervention consistait à faire lire aux élèves des exposés factuels démontrant que les géants de l’agroalimentaire utilisent le marketing afin de rendre les consommateurs dépendants de la malbouffe dans le seul but de faire davantage de profits. Et que la publicité sur les emballages est non seulement trompeuse, mais qu’elle vise spécifiquement à égarer les plus vulnérables, comme les enfants et les personnes démunies.
Leur réaction a été immédiate et pour ainsi dire épidermique. Selon les chercheurs, la révélation de ces faits heurtait de plein fouet leur sens inné de la justice. Dès lors, leur perception de la malbouffe s’est passablement renversée. Ce qui s’est traduit, du jour au lendemain, par 31 % moins d’aliments malsains consommés à la cafétéria par les garçons, comparés à ceux du groupe témoin qui, lui, n’avait été mis en contact qu’avec le matériel pédagogique habituel vantant les bienfaits des aliments sains.
À armes inégales
Le marketing alimentaire qui cible les enfants est d’une redoutable efficacité. D’ailleurs, si c’était le contraire, l’industrie agroalimentaire ne déploierait pas tant d’efforts pour rejoindre les jeunes, signe des temps, à travers les réseaux sociaux, sur YouTube et les jeux électroniques. Et surtout, les lobbyistes de cette industrie ne s’emploieraient pas si activement à faire dérailler le projet de Loi S-228 qui vise à encadrer la publicité d’aliments et de boissons riches en sel, en sucre ou en gras saturés ciblant les enfants de 12 ans et moins.
Non seulement la société civile ne dispose pas des ressources nécessaires pour faire contrepoids au battage publicitaire de l’industrie de la malbouffe, mais, en plus, ses vertueux messages faisant la promotion d’une saine alimentation n’ont pas la cote auprès des jeunes. À cet égard, une toute récente étude expérimentale a entre autres montré que les influenceurs (vloggers) les plus suivis par les jeunes ne parviennent pas à les convaincre de consommer plus de fruits et de légumes, bien qu’ils utilisent les mêmes codes qui servent à vanter la malbouffe. C’est dire que le combat est inégal.
D’où l’intérêt de cette stratégie d’intervention toute simple, réalisable en classe, et qui permet de facilement « déprogrammer » les jeunes en misant sur leur esprit de rébellion. Car, sauf exception, l’image d’un céleri ne peut pas susciter autant de convoitise qu’un cornet de frites, surtout si la consommation de ce dernier est savamment associée au plaisir et au contentement par d’incessantes campagnes de marketing. Mais, en démontant les rouages de ces stratégies de manipulation, en mettant en lumière cette tromperie, il semblerait possible de prendre appui sur la tendance naturelle des adolescents à se révolter contre l’autorité afin qu’ils fassent, par défaut, des choix plus sains !
Une différence de genre
Si, lors de ces interventions, la réaction des filles était aussi vive que celle des garçons, elle ne s’est ensuite pas traduite par une différence significative de comportement avec les filles du groupe témoin exposées aux messages classiques portant sur les bienfaits d’une saine alimentation. Selon les chercheurs, les filles, plus soucieuses de leur image corporelle et du jugement de leurs pairs, seraient d’emblée plus réceptives aux mises en garde contre une mauvaise alimentation. Toutefois, l’approche misant sur leur sentiment de révolte, qui est apparemment toute aussi efficace, a le mérite de s’appuyer sur un réflexe beaucoup plus sain et devrait donc être privilégiée.
La révolte, moteur de changement ?
Cette stratégie d’intervention qui mise sur l’esprit rebelle des jeunes a même perduré dans le temps, ont pu observer les chercheurs. Trois mois après l’intervention, les élèves consommaient toujours moins de malbouffe.
Devant un tel succès, on peut alors se demander si ce genre d’intervention ne pourrait pas être utilisée dans le cas du vapotage, qui prend des proportions épidémiques chez les jeunes, plutôt que de miser sur la coercition. Il ne serait pas difficile de leur démontrer que les fabricants de cigarettes électroniques utilisent toutes les astuces du métier pour les aguicher, avec des objets de formes attirantes, et les garder captifs en les exposant à des substances qui rendent dépendants, en particulier la nicotine, dans le seul but d’engranger des profits.
Sans présumer du résultat, gageons que nous ne serions pas déçus par leur esprit critique. Nous en voulons pour preuve le mouvement mondial de grève scolaire pour le climat, lancé par la jeune Suédoise Greta Thunberg, et qui, lui aussi, procède d’un vif sentiment de révolte contre l’inaction des gouvernements. À cet égard, les jeunes Québécois ne sont pas dupes non plus, eux qui ont récemment été scandalisés par une question d’examen du ministère en français, ainsi formulée : « Peut-on s’adapter aux changements climatiques ? » Leur réponse fut cinglante : « Il ne faut pas s’adapter, il faut agir ! »
Et si les ados détenaient la clé d’un monde meilleur ?