Depuis de nombreuses années je m’intéresse à l’alimentation saine et aux systèmes alimentaires plus durables et plus équitables. J’ai donc ouvert grand mes oreilles lors de la journée-conférence DUX+, intitulée « La révolution alimentaire : construire le futur pour une alimentation saine, durable et attrayante. »
Les tendances mondiales présentées par Edelman, une agence de « communication marketing » et Mintel, une agence « d’intelligence de marché », m’ont parues à la fois réjouissantes et inquiétantes. Ce sont toutefois les idées et réalisations de six jeunes entrepreneurs québécois qui m’ont le plus emballée au cours de cet événement qui réunissait quelque 200 personnes.
Mais commençons par les géants de l’agroalimentaire.
Réjouissant : les protéines végétales en tête de liste
Selon Edelman, les protéines à base de plantes seront la tendance mondiale numéro 1 en 2018 ! Le souci de produire et de manger de façon plus écoresponsable a donc fait tout un bout de chemin.
Comme le soulignent des organisations comme l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), les protéines animales, surtout les protéines bovines, qui aboutissent dans nos assiettes sont loin d’être inoffensives lorsqu’on tient compte de leur coût environnemental. Elles entraînent en effet des émissions considérables de gaz à effet de serre, une déforestation galopante et une consommation d’eau effrénée.
Et les grands de l’industrie alimentaire sont sur le coup. Saviez-vous qu’en 2017 Maple Leaf a acheté non pas une, mais deux entreprises qui produisent des aliments à base de protéines végétales ?
Avec l’acquisition de Lightlife Foods et de Field Roast Grain Meat, le géant canadien des protéines animales dit vouloir devenir un leader en matière d’alimentation durable, de nutrition et de santé, rien de moins !
Inquiétant : les protéines conçues en laboratoire
Le futur des protéines végétales passe aussi par les laboratoires, comme l’a indiqué Joel Gregoire, de Mintel :
- À l’Université de Wageningen aux Pays-Bas, des chercheurs travaillent à créer un aliment qui ressemblera à un steak, tant du point de vue du goût que de la texture, mais qui sera tiré de protéines végétales. Ce partenariat public-privé, amorcé en mars 2017, bénéficie de l’appui financier de 10 géants de l’agroalimentaire, dont Unilever.
- D’autres géants comme Cargill et Bill Gates financent des recherches visant à produire de la viande à partir de la culture de cellules animales.
- Et l'entreprise israélienne SuperMeat compte bien mettre en marché, d’ici trois ans, du poulet « cultivé en labo », affirmant au passage, qu’elle va produire de la viande plus saine et… contribuer à combattre la faim dans le monde.
Ces entreprises, et bien d’autres, insistent sur l’importance de développer un système alimentaire plus durable, tout en surfant sur la vague du bien-être animal, pour convaincre les investisseurs de la rentabilité de ce qu’il appelle la « viande propre » (clean meat).
Bon, je veux bien qu’on épargne la planète et les animaux, mais, au moment où on nous recommande de manger des aliments peu ou pas transformés, permettez-moi d’être vraiment perplexe… De plus, tout cela est loin des produits locaux et très près du statu quo, c’est-à-dire de la mainmise des multinationales sur notre alimentation.
Réjouissant : l’agriculture urbaine dans le top 10
L’agriculture urbaine arrive cette année au neuvième rang du palmarès 2018 d’Edelman. Comme l’a souligné Caroline Chevrier, d’Edelman, les fermes urbaines verticales étaient déjà à l’honneur en 2017.
L’agriculture urbaine et de proximité est un des sujets régulièrement abordés par 100°. Ce mouvement a donné lieu à une kyrielle d’initiatives favorisant une plus grande consommation de fruits et de légumes partout dans le monde, y compris au Québec : un réseau remarquable de fermiers de familles, un potager sur le toit d’une épicerie, le mouvement des Incroyables comestibles, une école d’été sur l’agriculture urbaine mondialement reconnue, la récente création d’un Conseil des politiques alimentaires, etc.
Les entrepreneurs, les institutions, les employeurs et les citoyens soucieux de l’avenir de notre planète et de la santé humaine sont clairement de plus en plus nombreux à joindre ce mouvement, ici comme ailleurs.
L’innovation alimentaire au Québec : faire partie de la solution
Des barres protéinées faites de farine de grillon (näak), des poulaillers urbains à installer dans sa cour (Poc Poc), du prêt à cuisiner livré chez soi (Cook it) ou encore du prêt-à-manger à emporter dans des plats en céramique consignés (Markina) : voilà les idées mises de l’avant par quatre jeunes entreprises qui ont eu l’occasion de présenter leurs innovations au cours de la journée Dux+.
De mon point de vue, le fabricant des jus Loop et les épiceries zéro déchet LOCO sont les initiatives les plus pertinentes au chapitre de la durabilité du système alimentaire.
Loop : l’économie circulaire pour lutter contre le gaspillage alimentaire
David Côté est le cofondateur de Loop, un fabricant de jus pressés à froid dont l’usine est installée depuis l’automne 2017 dans les locaux du distributeur de fruits et de légumes Courchesne Larose. Celui-ci, malgré un taux de perte de 1 à 2 % seulement, se retrouve chaque jour avec un surplus de 16 tonnes (oui 16 tonnes) de fruits et légumes mûrs qui finissent à l’enfouissement !
Chaque semaine, Loop transforme sur place 15 tonnes de fruits et légumes en jus, dont la livraison ne génère pas de gaz à effet de serre, puisqu’elle est faite en même temps que celle des fruits et légumes distribués par Courchesne Larose.
De plus, la pulpe résiduelle de la transformation des jus est utilisée pour fabriquer des gâteries végétaliennes… pour chiens ! Et David Côté ne manque pas d’idées : il travaille actuellement sur un projet qui permettrait de brasser de la bière à partir de surplus de pain. Et il vient même de signer une entente avec la chaîne Sobeys, qui souhaite aussi valoriser ses surplus de fruits et légumes !
LOCO : pour en finir avec le suremballage
Depuis 2016, la jeune entreprise LOCO a ouvert deux épiceries zéro déchet à Montréal. On y trouve tout en vrac ou presque : des fruits et légumes bien sûr, mais aussi du vinaigre, de l’huile, des produits d’entretien et du papier de toilette. On y apporte ses propres contenants et on achète la quantité qui nous convient.
LOCO a également incité plusieurs producteurs à développer un mode de livraison zéro déchet. C’est le cas de la Laiterie des Trois Vallées dont on peut trouver la crème, le lait et le lait au chocolat en vrac chez LOCO. Même topo dans le cas de l’entreprise Olive pressée.
Et le concept « zéro déchet » fait son chemin, a souligné Marie-Soleil L’Allier, une des quatre fondatrices de LOCO : Bulk Barn, le plus gros distributeur d’aliments en vrac au Canada permet désormais à ses clients d’utiliser leurs propres contenants, tout comme IGA et Rachelle Béry.
Le slogan de LOCO ? « Continuer à changer le monde, un panier à la fois », un point sur lequel le magazine Protégez-Vous est d’accord puisqu’il a récemment listé l’ouverture des épiceries LOCO dans les 25 événements qui ont marqué le commerce de détail au Québec… depuis 1971.
Une commission internationale
Le thème de la conférence Dux+ est dans l’air du temps au niveau mondial. Les systèmes alimentaires sont en effet à la croisée de plusieurs des objectifs du programme de développement durable à l’horizon 2030 adopté par Nations Unies en janvier 2016. À la suite de l’adoption de ces objectifs, une commission composée de 20 scientifiques de renommée mondiale s’est formée en juin 2016.
Fruit d’une initiative conjointe du président de la Eat Foundation et de l’éditeur du prestigieux magazine scientifique The Lancet, cette commission se compose de 5 groupes de travail qui visent à établir un consensus scientifique sur les points suivants :
- Qu’est qu’une alimentation saine ?
- Qu’est qu’un système alimentaire durable ?
- Quelles sont les tendances qui influencent actuellement l’alimentation ?
- Est-il possible de manger sainement en s’appuyant sur un système alimentaire durable ?
- Quelles sont les solutions et les politiques à mettre en place ?
Le rapport de la Eat-Lancet Commission for Food, Planet and Health est attendu au printemps : comptez sur moi pour vous faire part de ses points saillants !