On entend de plus en plus parler de l’efficacité du plein air pour favoriser la réussite éducative, mais à Saint-Raymond, dans la MRC de Portneuf, l’expérience est poussée plus loin avec des ados et de jeunes adultes (16-30 ans) qui ont décroché de l’école ou du travail. Les projets En Marche, mis sur pied par la Coop de solidarité Vallée Bras-du-Nord, montrent que le travail en nature constitue un tremplin efficace pour reprendre confiance en soi et trouver sa voie, professionnelle et personnelle.
C’est au cours du récent colloque annuel du Réseau pour le développement psychosocial par le sport et le plein air que notre journaliste a eu l’occasion de visionner un documentaire sur l’initiative des projets En marche.
Défis et fiertés
Marcher plusieurs kilomètres avec des outils sur le dos, dégager des roches au pic pour en faire des marches à flanc de montagne, refaire les courbes des sentiers de vélo de montagne après une grosse pluie : les jeunes qui s’engagent dans un projet En Marche vivent une expérience intense cinq jours sur cinq, durant six mois. Il faut dire qu’avec 100 km de sentiers pédestres et 100 km de vélo de montagne, la coopérative a besoin de bras !
Les nombreux défis relevés au cours de ces six mois de travail soutenu viennent avec une dose de fierté : ces jeunes appelés « nos bâtisseurs » laissent une trace d’eux-mêmes dans les sentiers de la magnifique Vallée Bras-du-Nord. Une fierté précieuse après des expériences de vie difficiles comme le décrochage scolaire, la toxicomanie ou la délinquance.
D’une pierre, plusieurs coups…
« La météo changeante, l’effort physique, et le travail en équipe font partie des éléments qui nous servent d’outils d’intervention, explique Étienne Beaumont, coordonnateur des projets En Marche dans ce documentaire. L’objectif est d’amener ces jeunes, qui ont vécu bien des échecs, à surmonter des défis et à vivre des réussites. »
« Durant six mois, ce milieu inconnu et déstabilisant leur enseigne la patience, la tolérance, la rigueur, le travail d’équipe, la détermination et la persévérance », poursuit-il. Bref, des atouts essentiels pour trouver un emploi ou clarifier ses choix d’études.
Un encadrement complet
Les projets En Marche ont commencé dès 2002, l’année de la création de la coopérative. L’organisme a donc développé une solide expertise dans le domaine de l’intervention dans un contexte de travail en nature. « Nous avons accompagné plus de 240 jeunes depuis et 75 % d’entre eux ont décroché un emploi ou sont retournés à l’école », se réjouit Étienne Beaumont.
« Nous sommes toujours au moins deux pour encadrer le groupe sur le terrain, précise Frédéric Germain, co-coordonnateur des projets En Marche, joint au téléphone. Une intervenante psychosociale les accompagne aussi dans cette démarche où ils n’ont pas le choix d’apprendre à vivre en groupe, à se parler, à s’accepter dans leurs différences. C’est tout un travail, parce que ces jeunes éloignés de l’emploi ont des parcours très différents. »
« Ces parcours différents sont une occasion de bien leur faire comprendre que dans n’importe quel milieu de travail, ils auront à mettre de l’eau dans leur vin pour s’intégrer à une équipe », ajoute-t-il.
Une intervenante… dans le bois !
L'intervenante psychosociale Annie Plante consacre 25 heures par semaine aux projets En Marche. Fait inusité, elle passe, sur ce temps, deux jours dans le bois ! « Elle part avec nous le matin et observe les jeunes sur le terrain. Les rencontres de suivi dans la forêt plutôt que dans son bureau facilitent la création d’un lien de confiance », souligne Frédéric Germain.
« L’objectif de ce projet de réinsertion socioprofessionnelle est bien sûr de favoriser l’employabilité de ces jeunes, explique Annie Plante. Mais au-delà de ça, en grande partie, pour la majorité des participants, c’est de se réapproprier un pouvoir sur sa vie. »
Les jeunes participent également à des ateliers de développement personnel, comme la gestion des émotions, la résolution de conflits, les dépendances, etc.
Une formation rémunérée
Grâce à un partenariat avec Emploi-Québec, les jeunes bâtisseurs reçoivent le salaire minimum durant 25 semaines. Une formation en santé et sécurité au travail est bien sûr donnée dès le début du projet et la formation technique en travail récréoforestier se fait sur le terrain.
« Lorsque le groupe vient en aide à l’équipe terrain régulière ou que la coopérative engage une firme externe pour développer de nouveaux sentiers, les participants sont appelés à élaguer et à dégager des roches, par exemple, précise Frédéric Germain. Ils peuvent ainsi voir des professionnels à l’œuvre. »
Les jeunes qui finissent le projet et participent aux différentes activités, reçoivent un certificat de formation à un métier semi-spécialisé (CFMS) comme préposé(e) à l’entretien des aires publiques, émis par le Ministère de l’Éducation, en collaboration avec le centre de formation de Portneuf. « C’est un bon atout pour augmenter leur employabilité », note Frédéric Germain.
Le plein air, source de sensations fortes
« Les jeunes sont avides de sensations fortes, qu’ils trouvent facilement en consommant de la drogue, ou en commettant des délits, explique un intervenant en dépendance dans le documentaire. Grâce à ce projet, ils font l’expérience d’autres sensations fortes, à travers le travail dans les sentiers, mais aussi grâce à des expériences de plein air inoubliables. Ça fait monter leur niveau d’adrénaline de façon saine. Non seulement ils aiment ça, mais ils constatent que c’est un effet qui dure ! » « J’ai appris qu’on peut tripper sans consommer et tripper solide ! » confirme un des participants dans le documentaire.
Au cours du projet, les jeunes ont en effet l’occasion d’expérimenter les différentes activités offertes par la Vallée Bras-du-Nord, comme le vélo de montagne, la via ferrata ou encore des randonnées qui les mènent à des points de vue grandioses.
L’expédition : un rite de passage
En matière de plein air, c’est toutefois l’expédition d’une semaine qui reste bien ancrée dans le vécu des participants. Ils sont tellement fiers d’être passés à travers une semaine de canot-camping sur la rivière Batiscan, d’avoir randonné dans les Monts Groulx ou les Chic-Chocs ou d’avoir fait du Rabaska sur le Fjord du Saguenay. En 2007, le groupe est même allé au Pérou !
« C’est magique, c’est une expérience qui reste dans ton sac », témoigne l’un de ces jeunes. « Quand les difficultés surgissent, parce que je suis passée à travers de l’expédition, je sais qu’en persévérant, je suis capable de réussir », raconte une autre.
« C’est une marque significative dans leur vie, un véritable rite de passage vers un espoir nouveau, explique Étienne Beaumont. Nous utilisons beaucoup les métaphores et les analogies pour accompagner ces jeunes et les reconnecter à l’aventurier en eux : des rapides à traverser, des montagnes à gravir… »
Une expérience plus grande que soi
« Dans ce projet, tout est relié et fait du sens, souligne Frédéric Germain. La coop a une vocation sociale forte depuis toujours. Nous faisons partie intégrante du développement de la communauté et de la région et nous avons tissé des collaborations avec des commerçants. De plus, la Fondation Alcoa finance depuis 2015 un volet d’éducation à l’environnement et à l’écocitoyenneté. Et, tout en effectuant leur propre cheminement, les jeunes participent à un développement écotouristique d’envergure et vivent ainsi la fierté de faire partie des bâtisseurs de ce grand projet. »
La nature : une alliée
Quand les participants parlent de leur expérience « dans le bois », leurs yeux pétillent, ils évoquent le plaisir, le calme, le silence et la liberté qu’ils y ont vécu. « La nature ne fait pas que ravir leurs yeux, les mettre en mouvement et leur procurer des sensations fortes, elle leur apporte aussi calme et introspection, explique Frédéric Germain. C’est un milieu idéal pour les accompagner dans leurs difficultés et le dépassement de soi. »
Ce dépassement de soi, cette grande sortie hors de leur zone de confort, les participants les ont vécus intensément et témoignent de leur importance comme point de référence. « Les sentiers de vélo sont une part de ma vie, une part de ma réussite », souligne l’un deux. « Je n’osais jamais avant. Maintenant, je ne me casse plus la tête, je suis plus motivé. Quand ça ne va pas bien, je repense à mes réussites dans la Vallée. Personne ne peut me les enlever. »
Et pour Frank qu’on peut voir dans un court supplément en ligne, la « Vallée » a été l’occasion de se centrer sur son vrai projet de vie : devenir technologue en génie physique. Un projet de vie solide, c’est bien ce qu’on souhaite à ceux et à celles qui ont commencé l’aventure 2019-2020… aujourd’hui même !
Note. On peut se procurer le documentaire au prix de 25 $. Les fonds servent à soutenir les projets En Marche.
Photo de départ : Claude Côté
Autres photos : courtoisie Coop Vallée Bras-du-Nord
Ce sujet vous intéresse ?
Visionnez la conférence de François Cardinal « Jouer dehors: faire face au déficit nature »
Consultez également les articles suivants:
- Option plein air: 20 ans de réussite pour des élèves en adaptation scolaire
- 26 ados en activité parascolaire d’hiver: la folle idée du « Shack à Réal et Éric »
- Le plein air: bon pour la santé des citoyens… et des communautés!
- Garderie en plein air: la formidable initiative d’une éducatrice en milieu familial