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Le commerce IGA Duchemin, dans l'arrondissement montréalais Saint-Laurent, est le premier supermarché canadien à vendre des légumes cultivés sur son toit, mais ce potager est aussi le plus grand au pays. Histoire d’un projet innovant, fertile et inspirant.
Après un lancement remarqué en juillet dernier, Richard Duchemin et le maraîcher Tim Murphy sont maintenant à l'étape de dresser un bilan. Ils ont partagé les dessous de leur première saison, lors d’une rencontre organisée par le collectif Parler la Bouche Pleine, le 4 octobre dernier.
« Ce n’est pas nous qui avons eu l’idée du potager sur le toit, indique d’emblée Richard Duchemin, copropriétaire du IGA extra Famille Duchemin de Saint-Laurent. Nous voulions déménager pour ouvrir un magasin plus grand et l’emplacement retenu faisait partie d’un projet de quartier mixte certifié LEED Argent. L’arrondissement exigeait un toit vert à 50 %. »
Et pourquoi pas un toit comestible ?
Le gérant du projet de construction pour le compte de Sobeys (la maison mère des détaillants IGA) a tout d’abord exploré la possibilité de construire une serre, mais ce projet s’est révélé trop coûteux. La ligne verte, une entreprise d’aménagement paysager, a obtenu le contrat du toit vert et l’idée d’un jardin potager a surgi au cours des échanges qui ont suivi.
« Les plans du supermarché ont été entièrement revus en fonction du potager sur le toit, précise Richard Duchemin. Le toit est composé d’une dalle de béton recouverte de membranes, d’isolants et de panneaux drainants, ce qui signifie, entre autres, plus de colonnes pour soutenir le poids supplémentaire. Et des colonnes, ce n’est pas gagnant pour un propriétaire de supermarché qui cherche à maximiser l’espace ! » ajoute-t-il.
25 000 pi2, 15 cm de terre, 35 légumes et des milliers d’abeilles
La ligne verte a dû faire preuve de souplesse, car, en principe, un jardin sur toit nécessitant un entretien intensif demande un minimum de 20 cm de terreau.
« L’entreprise Alvéole a installé 8 ruches sur le toit et c’est quelque 600 pots de miel qui seront bientôt vendus en magasin. » Richard Duchemin
« Pour tenir compte des contraintes budgétaires de construction du toit, nous avons aménagé un potager sur 15 cm de terreau certifié biologique et spécifiquement conçu pour ce toit, explique Tim Murphy, le fermier responsable du projet pour La ligne verte. Dans ces conditions, nous pensions produire seulement des verdures et des fines herbes, mais finalement, nous cultivons 35 légumes différents et les rendements sont bons ! »
Un succès sur toute la ligne
Et ces légumes connaissent un succès remarquable depuis le lancement officiel du jardin et de la marque « Frais du toit » en juillet 2017, soit un peu plus d’un an après l’ouverture du nouveau supermarché.
« Nos clients ont très bien accueilli notre initiative et même développé un sentiment de fierté et d’appartenance, se réjouit Richard Duchemin. Nous avons aussi séduit de nouveaux clients que cette innovation fidélise. Deux caméras en magasin permettent de voir en direct ce qui se passe dans le jardin et les produits s’envolent souvent en quelques heures seulement. »
Les contraintes
Si ce toit potager est un succès, il a aussi exigé beaucoup d’adaptation de la part des deux partenaires.
Le commerçant a notamment dû accepter le fait que le kiosque « Frais du toit » soit parfois vide. « Quand je fais une commande de fruits et légumes par la filière habituelle, je la reçois 12 heures plus tard, mais quand il n’y a plus de kale sur le toit, il n’y en a plus, et je dois trouver un autre fournisseur jusqu’à la prochaine récolte de Tim. »
De son côté, Tim Murphy avait plusieurs appréhensions. « Je n’arrivais pas à me faire à l’idée qu’un petit producteur comme moi puisse collaborer avec un aussi gros client, raconte-t-il. Et, au début, il n’a effectivement pas été évident d’expliquer que nous ne pouvions pas récolter tous les jours, ni livrer instantanément, même si seulement 44 marches nous séparent. » Il lui a également fallu relever le défi de la chaleur et du vent, beaucoup plus présents sur un toit qu'au sol.
« Un couple de pluviers kildir a fait son nid sur le potager et donné naissance à quatre oisillons. » Tim Murphy
Les avantages
Le maraîcher apprécie particulièrement le fait qu’il n’a besoin ni de transporter sa récolte, ni de la mettre en marché. « Ça nous donne plus de temps pour entretenir le potager et pour planifier, explique Tim Murphy. De plus, nous n’avons aucune perte au jardin. »
Pour sa part, le commerçant apprécie le fait de pouvoir vendre des légumes uniques et savoureux à ses clients, ainsi que la motivation accrue de ses employés qui sont fiers de participer à un tel projet. « La vente de produits biologiques est en constante progression dans les supermarchés et nous répondons à cette demande accrue de façon innovante », explique Richard Duchemin.
Une relation de confiance
Le commerçant et le maraîcher ont développé une belle complicité qui était palpable lors de cette rencontre publique. « Je ne suis pas sûr que ça aurait aussi bien marché si ça avait été quelqu’un d’autre, souligne Tim Murphy. Au début du projet, les autres copropriétaires du supermarché n’étaient pas aussi enthousiastes que lui ! »
« De mon côté, conclut Richard Duchemin, je suis très heureux que nous ayons transformé une contrainte en occasion d’innover. Et je souhaite que nous soyons imités par d’autres supermarchés. »
Photos : IGA extra Famille Duchemin et La ligne verte