Organisée par Farm to Cafeteria Canada, la Conférence nationale De la ferme à l’école a rassemblé plus de 300 personnes à Victoria, en Colombie-Britannique du 14 au 17 mai dernier. À la clôture de cet événement, 100° s’est entretenu avec la directrice nationale de Farm to Cafeteria Canada, Joanne Bays, pour recueillir ses commentaires et connaître ses projets pour la prochaine année.
1 — Quel était le principal objectif de cette conférence ?
Nous souhaitions mettre en lumière et célébrer l’effervescence au Canada du mouvement Farm to School/De la ferme à l’école qui vise accroître la présence d’aliments sains, locaux et durables dans l’esprit et dans l’assiette des jeunes, partout au pays.
Nous voulions aussi réorienter le dialogue entourant l’alimentation scolaire en mettant l’accent sur l’abondance plutôt que sur la pénurie. Les programmes destinés à faire la promotion d’une saine alimentation au Canada, plus qu’une simple courtepointe d’éléments disparates, forment aujourd’hui une magnifique tapisserie vouée à établir des liens entre les enfants, les aliments qu’ils consomment et la planète.
Nous désirions aussi piquer la curiosité des gens et attirer leur attention sur les 1001 éléments uniques qui composent cette tapisserie — qu’il s’agisse d’initiatives novatrices, de belles réussites ou de projets et d’idées contribuant à l’atteinte de nos objectifs dans les milieux préscolaires et scolaires, sur les campus, au sein des systèmes agroalimentaires locaux et dans le domaine de la recherche et de l’élaboration de politiques publiques.
Nous voulions inspirer d’autres actions — en particulier dans le domaine de l’évaluation et de la recherche.
2— Quelle a été la contribution de cette conférence au mouvement De la ferme à l’école au Canada ?
Cet événement a fait ressortir la portée du mouvement De la ferme à l’école, qui dépasse largement la boîte à lunch. Il vise en fait à réduire l’écart entre le champ et l’assiette, et à favoriser l’émergence de toute une génération de citoyens dotés d’un meilleur esprit critique et de saines habitudes alimentaires, qui comprennent et célèbrent le rôle primordial de l’alimentation dans la santé des gens, des cultures et de la planète.
La conférence a aussi mis en lumière la vitalité du mouvement De la ferme à l’école au Canada et au-delà des frontières du pays. L’initiative De la ferme à l’école est pilotée dans notre pays par le réseau De la ferme à la cafétéria Canada, qui comprend quelque 5000 membres ou sympathisants et est actif dans presque toutes les provinces et territoires du Canada, en plus de posséder plusieurs ramifications internationales. À ce jour, 1215 écoles et campus ont partagé leurs activités De la ferme à l’école avec le réseau canadien De la ferme à la cafétéria de façon à ce qu’elles soient répertoriées sur la seule carte alimentaire du Canada. Selon leur bilan, ces établissements scolaires ont offert à 863 074 élèves l’occasion de faire l’expérience de la culture, de la récolte, de la transformation et de la dégustation à l’école d’aliments sains et produits localement, et on estime que les sommes qui y sont investies annuellement s’élèvent à quelque 16 millions de dollars. Aux États-Unis, un pays dix fois plus peuplé que le Canada, ce mouvement est florissant dans tous les États. Selon le dernier recensement du réseau chez nos voisins du sud, 42 875 écoles ont mis leurs élèves en contact avec une agriculture de proximité, et quelque 789 millions de dollars ont été investis dans les économies locales.
Notre conférence a aussi fait ressortir les impacts positifs du mouvement De la ferme à l’école au Canada. Nous disposons désormais de preuves concrètes ainsi que de riches études de cas qui confirment que ce mouvement a non seulement des répercussions positives sur les habitudes et connaissances alimentaires des élèves, mais également sur les systèmes alimentaires, tant en milieu scolaire qu’à l’échelle régionale. Au cours de la conférence, le réseau De la ferme à la cafétéria Canada a présenté une nouvelle représentation visuelle, inspirée du Guide alimentaire canadien et validée par Santé Canada, qui illustre clairement comment le mouvement De la ferme à l’école constitue une politique concrète de santé publique.
Il a également été démontré que le mouvement De la ferme à l’école au Canada jouit d’un solide appui tant dans le secteur privé que public.
Lors de la cérémonie d’ouverture, la ministre fédérale de la Santé, madame Ginette Petitpas Taylor, a chaleureusement accueilli les participants à l’événement, par l’entremise d’une lettre dans laquelle elle a réitéré son appui au réseau De la ferme à la cafétéria Canada et à l’initiative nationale De la ferme à l’école, pilotée par cette organisation. Au cours des derniers mois, la Ministre, en plus de favoriser la publication d’un nouveau guide alimentaire canadien qui endosse totalement la vision du mouvement De la ferme à l’école, a également, par l’intermédiaire de l’Agence de la santé publique du Canada, octroyé un financement à une initiative pancanadienne de l’ordre de plusieurs millions de dollars consacrée à la mise en place et à l’évaluation des projets rattachés au mouvement De la ferme à l’école dans divers milieux.
À la fin de la première journée, Nona Evans, présidente de la Whole Kids Foundation, ainsi que Grant Daisley, directeur des communications de la chaîne Whole Foods, ont annoncé un autre investissement de 500 000 dollars destiné à permettre à davantage d’établissements scolaires un peu partout au Canada d’intégrer davantage de produits locaux au menu de leur cafétéria. En outre, plus tard en soirée, au cours d’un banquet où les produits locaux étaient à l’honneur, la ministre de l’Agriculture de la Colombie-Britannique, madame Lana Popham, a réitéré son appui et évoqué les mesures prises par son ministère pour favoriser l’atteinte des objectifs du mouvement par l’entremise de l’initiative, comme Grow BC, Feed BC, Buy BC.
https://youtu.be/z_6cCTupOx0
Le deuxième jour, la ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire du Canada, madame Marie-Claude Bibeau, a présenté une vidéo reflétant la vision du mouvement : davantage de produits sains et produits localement dans les esprits et les assiettes des élèves. La Ministre a aussi évoqué la façon dont la Politique alimentaire nationale du Canada fera la promotion de cette vision en octroyant un financement aux infrastructures alimentaires locales et en amorçant un dialogue ouvrant la voie à la mise en œuvre d’un programme alimentaire scolaire d’envergure nationale.
3— Pourquoi avoir décidé de mettre l’accent sur l’importance de rassembler des données probantes et de s’en servir efficacement ? Comment croyez-vous – ou espérez-vous – que les gens pourront tirer parti de ces faits établis, que ce soit sur le terrain, dans le cadre de projets scolaires ou pour faire la promotion du mouvement De la ferme à l’école ?
Nous avons décidé de mettre l’accent sur l’importance de répertorier et de présenter des faits pour faire la promotion du mouvement au Canada parce que nous avons pris conscience de leur pouvoir de persuasion. Il suffit de jeter un coup d’œil chez nos voisins du Sud pour s’en convaincre. Aux États-Unis, le mouvement De la ferme à l’école a inventorié les initiatives lancées dans tout le pays et recueilli un large éventail d’études de cas et de témoignages, puis il a veillé à ce que ces renseignements soient transmis aux instances décisionnelles. Ces efforts concertés déployés par de nombreux partenaires, agissant tant à l’échelle locale que nationale, pour rassembler l’information pertinente à un moment stratégique et à les communiquer aux décideurs a mené au lancement d’un recensement national du mouvement, puis à la création officielle d’un programme s’inspirant de cette vision au sein même de l’USDA.
Nous avons aussi compris que si nous voulons amener les décideurs canadiens à prendre les mesures qui s’imposent pour accroître la présence dans l’esprit et dans l’assiette de nos enfants d’aliments sains produits localement et selon les principes du développement durable, nous devons axer nos efforts sur les facteurs qui influent sur les décisions prises dans ce domaine. Selon certains experts en matière de politiques publiques, ces décisions sont influencées par le sentiment de légitimité, de faisabilité ainsi que par leur niveau d’acceptabilité sociale. Cela signifie que les personnes qui prennent les décisions doivent être convaincues que les lacunes auxquelles nous tentons de remédier sont bien réelles et que ces revendications légitimes exigent une intervention de leur part. Il importe également de leur démontrer que les solutions que nous proposons sont réalisables et que les ressources qui y seront investies porteront fruit. Enfin, les décideurs doivent comprendre que la promotion de ces initiatives est perçue de façon très favorable et reçoit un appui important dans divers milieux.
Au Canada, les acteurs œuvrant pour la promotion des programmes alimentaires en milieu scolaire ou dans le cadre du mouvement De la ferme à l’école ont réussi à démontrer efficacement qu’il s’agit là de préoccupations tout à fait légitimes tant à l’échelle provinciale que nationale, par exemple en parvenant à se faire entendre à la Chambre des communes et au Sénat quant à la nécessité de mettre en place un programme national d’alimentation scolaire. En outre, la valorisation de l’agriculture de proximité et la promotion d’une saine alimentation en milieu scolaire sont enchâssées dans les lignes directrices et l’orientation stratégique de la politique alimentaire nationale du Canada. Il nous reste toutefois du chemin à parcourir, car le poids des données probantes répertoriées ne suffit pas encore à démontrer la faisabilité, dans le contexte canadien, des mesures que nous préconisons.
Grâce à ses partenaires, à sa vision et à son expertise dans le domaine de la recherche et de l’évaluation des pratiques prometteuses dans ce champ d’action, le réseau De la ferme à la cafétéria Canada occupe une position privilégiée pour favoriser l’atteinte des objectifs visés. La Conférence a fourni une occasion idéale pour lancer la première d’une série de tables rondes visant à permettre l’élaboration d’un cadre commun d’évaluation des projets et initiatives dans ce domaine, ainsi qu’à mieux saisir les critères de réussite de nos partenaires, leurs acquis et leurs besoins en matière de preuves et d’outils nécessaires à la poursuite de leurs objectifs.
Lors de la Conférence, les intervenants présents ont clairement évoqué la nécessité d’obtenir des outils, des stratégies et de la formation susceptibles de les aider à réunir et à présenter des données probantes démontrant l’efficacité des initiatives et programmes mis en œuvre dans le cadre du mouvement De la ferme à l’école, dont tous – les élèves, les agriculteurs, les communautés et la planète – sortent gagnants.
4— Quelles sont les prochaines étapes pour le mouvement De la ferme à l’école au Canada ?
D’ici quelques semaines, le réseau De la ferme à la cafétéria Canada et ses partenaires devront certainement répondre à l’invitation du personnel du Ministère à tenir une rencontre pour y présenter des faits concrets et faire la promotion d’un plan d’action pour l’avenir.
À l’automne ou à l’hiver prochain, le réseau fera l’annonce d’un troisième cycle de subventions destinées à favoriser et à maintenir l’essor du mouvement au Canada.
Au cours des prochains 18 à 24 mois, le mouvement travaillera à l’organisation d’une série de causeries qui se tiendront dans les classes, les cuisines, les centres communautaires et les salles de réunion dans l’objectif d’élaborer un cadre d’évaluation portant sur les initiatives s’inscrivant dans le mouvement De la ferme à l’école au Canada. Nous espérons que ce processus contribuera à souligner encore davantage l’effervescence du mouvement actuel (notamment en contribuant à enrichir la carte alimentaire du Canada). Nous souhaitons également recueillir des connaissances, des outils et des ressources à partager, ainsi qu’à élargir et à renforcer notre réseau.
5— Que pouvons-nous apprendre du mouvement De la ferme à l’école en place aux États-Unis ?
En élaborant un cadre commun et en définissant des stratégies et des critères de réussite, nous encourageons les décideurs, bailleurs de fonds, partenaires, associés et sympathisants à s’intéresser à l’expérience des États-Unis à cet égard, en particulier en ce qui a trait à l’impulsion récente qui a été donnée au mouvement — dans un contexte où un programme fédéral d’alimentation scolaire est en place dans ce pays depuis 1946, comment expliquer l’essor depuis une dizaine d’années de l’initiative De la ferme à l’école ? —, ses répercussions positives, ainsi que les stratégies et mesures qui ont été privilégiées pour atteindre les objectifs visés.
En réalité, le mouvement De la ferme à l’école aux États-Unis a émergé en réponse à deux facteurs critiques : 1) la hausse préoccupante de l’obésité chez les enfants et la nécessité d’inciter les élèves à consommer davantage de fruits et légumes frais et moins d’aliments transformés et emballés (lesquels étaient généralement privilégiés dans le cadre du programme national d’alimentation scolaire) et 2) la crise agricole et économique aux États-Unis, qui a incité les décideurs à considérer la mise en place de nouvelles politiques et ressources destinées à accroître la quantité d’aliments locaux dans les assiettes des élèves comme une mesure d’incitation à la croissance économique. À l’heure actuelle, le Canada est lui aussi aux prises avec un contexte semblable. Aux deux facteurs que nous venons d’évoquer s’ajoutent d’autres enjeux urgents, dont la malnutrition et l’insécurité alimentaire, la sauvegarde des traditions culinaires et des aliments de subsistance des Premières Nations, ainsi que les bouleversements associés aux changements climatiques.
Le défi, lors de l’élaboration d’un cadre d’évaluation, consistera à adopter une vision assez large pour faire écho aux préoccupations des multiples acteurs qui participent à la discussion et qui perçoivent l’initiative De la ferme à l’école comme la voie à emprunter pour poursuivre leurs différents objectifs, car tous jouent un rôle crucial dans le portrait global. Heureusement, le mouvement aux États-Unis a été bien répertorié et nous offre un large éventail de ressources. On trouve notamment dans le site web du réseau national d’importants paramètres relatifs à l’évaluation et à la présentation des retombées.
6— Quel est votre rêve pour le mouvement canadien De la ferme à l’école ?
Eh bien, je nourris un rêve, un beau rêve vaste et audacieux né de mon amour pour ma fille, pour les enfants, pour ma collectivité et pour notre planète ; un rêve né de la prise de conscience que la nourriture et l’amour ne font qu’un.
Ma vision, c’est que...
- tous les enfants aient l’occasion de faire l’expérience du bonheur issu des activités rattachées au mouvement De la ferme à l’école ;
- toutes les écoles possèdent un potager, une cuisine, une salle à manger et un site de compost ;
- tous les élèves aient suffisamment de temps pour manger ;
- l’éducation alimentaire devienne une matière scolaire inscrite au programme dans l’ensemble du Canada ;
- toutes les écoles soient des oasis à l’abri des pressions commerciales, exemptes de publicité relative à la nourriture ;
- toutes les écoles adoptent une politique leur permettant d’offrir à leurs élèves la plus grande quantité possible d’aliments sains, produits localement dans l’esprit du développement durable, le moins transformés et emballés possible ;
- toutes les collectivités du Canada possèdent un système alimentaire régional vigoureux mettant en priorité la production, la transformation et la livraison d’aliments sains aux écoles, selon les principes du développement durable ;
- comme pour la Loi canadienne sur la santé, le gouvernement du Canada travaille de concert avec les gouvernements des provinces, des territoires et des Premières Nations pour élaborer et mettre en place une loi introduisant un programme national servant les objectifs du mouvement De la ferme à l’école, et définissant la vision et les fondements des programmes alimentaires en milieu scolaire.
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