Éducation alimentaire

L’éducation à l’alimentation pour reconnecter les jeunes au monde vivant: entrevue avec Lucie Sauvé

Pour Lucie Sauvé, professeure à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Montréal, l’alimentation représente un creuset d’apprentissages extraordinaires et fondamentaux. Pour celle qui a fondé et dirigé jusqu’ici le Centre de recherche en éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté, cette approche est porteuse d’espoir, car elle permet de reconnecter les jeunes au monde vivant.


Lucie Sauvé

Note. Les propos rapportés ci-dessous sont tirés du webinaire 100° « La littératie alimentaire : puissant levier de changement social » et de notre dossier spécial sur le même sujet. Téléchargez notre dossier complet.

Les jeunes ont une connaissance très limitée de l’origine des aliments. Qu’est-ce que cette méconnaissance révèle sur eux et quelles peuvent en être les conséquences sur leur développement ?

C’est vrai que les jeunes ne connaissent souvent pas la provenance de la nourriture dans leur assiette. Cette méconnaissance est le signe d’une rupture plus fondamentale, une perte de contact avec la trame même de la vie.

Ils ne saisissent pas, ou plus, le lien fondamental qui les relie au monde vivant à travers leur alimentation. Les aliments deviennent des objets de consommation auxquels ils ne portent pas suffisamment attention. Et pourtant, les aliments peuvent être un connecteur exceptionnel. Un connecteur à soi-même, aux autres, au monde vivant, à l’environnement.

« L’alimentation est un merveilleux chantier qui peut contribuer à construire cet espoir dont on a tellement besoin actuellement. »

jardin pédagogique

Cette connexion déborde ainsi dans toutes les sphères de la vie…

Tout à fait. À travers les aliments, les enfants et les jeunes apprivoisent le rapport à soi en portant attention à leur santé physique, mais aussi à leur santé psychique. Par exemple, en prenant conscience que jardiner et cuisiner peuvent être des activités apaisantes, tout en générant un sentiment d’accomplissement.

Du jardin à l’assiette, les aliments sont une source d’activités basées sur la collaboration, le partage, l’échange de savoirs et de savoir-faire. Ils offrent l’occasion de riches interactions intergénérationnelles et interculturelles. Bref, de mille façons, ils permettent d’explorer le rapport aux autres.

Comprendre le cycle de vie du monde végétal, animal et humain peut éveiller les jeunes aux problématiques liées à l’agriculture industrielle, dont l’usage des pesticides et l’élevage intensif. Prendre conscience des interdépendances, des inégalités dans l’accès à un lopin de terre pour la relève agricole ou à une nourriture saine et diversifiée pour bien des populations, est une occasion de réfléchir entre autres, au juste prix de la terre et des aliments.

ferme marichel
Crédit photo: Ferme Marichel

L’éducation à l’alimentation comporte donc une dimension politique ?

L’alimentation est un objet politique par excellence, entre autres à travers les choix de consommation. Le rapport à l’aliment nous amène notamment à l’idée de santé environnementale. On parle maintenant d’une seule santé, car la santé des écosystèmes est étroitement liée à la santé des humains.

Éduquer à l’alimentation, c’est donner aux jeunes l’occasion de développer des habiletés de production et de transformation des aliments, mais aussi des compétences critiques sur les modes de production alimentaire, ainsi que des compétences d’ordre éthique et politique. C’est les initier à l’écoresponsabilité, mais aussi à l’écocitoyenneté.

Quelle est votre définition de l’écocitoyenneté ?

C’est une citoyenneté consciente, critique, bienveillante et engagée aussi dans la « cité » du monde vivant, c’est-à-dire dans cet espace partagé entre nous les humains, mais aussi avec toutes les autres formes de vie. On parle souvent des jeunes en termes de futurs citoyens, moi je pense que les jeunes sont déjà engagés dans la « cité » de leur classe, dans la cité de leur école, dans la cité de leur quartier. L’écocitoyenneté, c’est une dimension de plus à leur identité citoyenne, qui inclut la connexion à tout le réseau du monde vivant.

Être citoyen c’est participer à des dynamiques où l’on s’occupe ensemble des choses qui nous concernent tous. Toutefois, l’écocitoyenneté ne se limite pas à l’écocivisme et aux écogestes, c’est-à-dire aux comportements individuels et collectifs favorables à l’environnement. Bien sûr, il est important d’acheter en vrac, d’éviter le gaspillage, de faire du compost et ces écogestes demandent de la constance et de l’engagement.

Mais l’écocitoyenneté nous amène plus loin, car elle met en évidence la dimension politique de notre rapport à l’environnement. Il s’agit d’aller au-delà du comportement et de se poser des questions critiques. Par exemple, pourquoi tant d’aliments importés  ? Pourquoi tant d’emballages ? Tant de gaspillage ? Tant de sucre dans les boissons gazeuses ? Pourquoi les banques alimentaires sont-elles devenues si nécessaires ? Pourquoi la relève agricole a-t-elle tant de difficultés à trouver un lopin de terre à cultiver ?

Il est essentiel de se poser ces questions et d’en chercher les réponses. Cette réflexion donne une signification et une valeur ajoutée à nos comportements. Cette dimension politique cimente les actions individuelles et collectives et peut mener à des projets d’actions structurantes. C’est important d’apprendre à agir ensemble, et d’apprendre la démocratie à travers tout cela.

« La politique, c’est simple : c’est s’occuper ensemble des choses qui nous concernent tous. »

Avez-vous un coup de cœur à partager en matière d’éducation à l’alimentation ?

Il y a un foisonnement de beaux exemples à partager dans le cadre des travaux de notre Centre de recherche en éducation relative à l’environnement. Nous accompagnons les projets des étudiants, mais aussi ceux de beaucoup d’organisations dans différents milieux. Un de mes coups de cœur est le projet d’apiculture scolaire, développé par le Centre d’interprétation des énergies renouvelables en Montérégie.

apiculture pédagogique

Ce projet, qui implique plusieurs écoles, est très mobilisateur pour les enfants et la communauté. Il permet beaucoup d’apprentissages liés aux disciplines scolaires, dont les sciences de la nature, incluant l’entomologie et l’observation du comportement animal. Les enfants apprennent le rôle des abeilles dans les écosystèmes, la valeur alimentaire et médicinale des produits de la ruche, l’importance de protéger tous les insectes pollinisateurs.

Ce projet contribue au développement d’habiletés comme le soin de la ruche, la récolte du miel, la fabrication de produits dérivés, par exemple des pastilles et des chandelles. Les enfants ont beaucoup de plaisir à peindre les ruches, à concevoir et fabriquer les étiquettes pour les pots.

« Apprendre sur la société des abeilles, ça fascine les enfants et leurs parents ! »

Ce même centre a mis sur pied un projet d’aquaponie extrêmement porteur. Il s’agit d’une installation qui associe la culture des plantes et l’élevage des poissons. C’est une activité qui aborde la chimie, la microbiologie, le rôle des bactéries, le cycle du vivant. Les déjections des poissons nourrissent les plantes, qui, en retour, filtrent l’eau.

Cette éducation à l’alimentation est-elle une révolution ou une tendance lourde ?

Les deux. L’éducation à l’alimentation invite à transformer nos rapports au sein de notre société et avec le monde du vivant. Elle est un point focal sur lequel on peut s’appuyer pour accentuer les efforts collectifs nécessaires à cette grande et essentielle transformation.

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