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À Saint-Adrien, petite municipalité de la MRC des Sources en Estrie, l'autonomie alimentaire et l'engagement citoyen ne sont pas des mots vides de sens ou détournés à des fins politiques. Dans ce village de 550 habitants, penser globalement et agir localement répond à des valeurs bien enracinées dans l'ADN de la communauté et se traduit par des actions concrètes, comme le compostage à domicile ou la création d'un marché local de denrées biologiques.
À l'automne 2019, Saint-Adrien s'est particulièrement démarqué à la 5e édition du Forum développement durable de Victoriaville en remportant à la fois le prix du jury et le prix coup de cœur du public pour son projet de Centre multiservice en alimentation. Visant à rapprocher au maximum la production des aliments de leur consommation, ce projet a été développé précisément en vue de réduire l'empreinte carbone et d'assurer la résilience alimentaire de toute la communauté.
« Un projet alimentaire dans un petit village de 500 habitants, on ne voit plus ça de nos jours. On est vraiment petit, mais on est Gaulois et on a de l'énergie ! L'écologie ici, ce n'est pas juste des jardins ou des constructions vertes, c'est un art de vivre, c'est l'écologie humaine. » - Claude Dupont, conseiller municipal et maire suppléant de Saint-Adrien
L'histoire d'un village vert et solidaire
Pour comprendre la force de l'esprit communautaire et des valeurs environnementales qui animent Saint-Adrien, il faut revenir un peu en arrière. Village de bûcherons et de défricheurs, fondé en 1878, Saint-Adrien a connu deux vagues d'arrivées de « néos » au 20e siècle. La première vague, au cours des années 1970, était constituée de jeunes gens à la recherche d’une nouvelle façon de vivre en accord avec la nature. C'était l'époque du retour à la terre et des communes fondées sur l'autosubsistance partagée.
À partir de 2008, le projet résidentiel Espace-Nature Petit Ham, encadré par une charte écologique visant à préserver l'aspect naturel du lieu, a contribué à l'arrivée d'un deuxième groupe de résidents préoccupés par l'environnement. « Ça a créé une communauté de pensée, explique Claude Dupont, conseiller municipal et maire suppléant de Saint-Adrien. En plus, on était des gens qui voulaient s'impliquer. Ça a généré un dynamisme formidable ! »
Ce désir de partager un mode de vie solidaire et résilient a donné lieu à plusieurs initiatives rassembleuses au village, parmi lesquelles la création du Comptoir Saint-Vrac, un groupe d’achat communautaire d’aliments en vrac biologique. « On a lessivé de grosses parties de notre culture du terroir pour la remplacer par les supermarchés, explique Conrad Goulet, créateur du Saint-Vrac. Ce comptoir, c’est un projet de régénération pour retrouver cette notion de territoire qu’on a délaissée et reconstruire du même coup les liens humains, économiques et sociaux. »
Dès les premiers jours de la crise de la COVID-19, l’équipe du Saint-Vrac a ainsi initié une collecte de fonds dans le village qui a permis de passer rapidement des commandes massives de légumineuses, riz et avoine afin de créer des greniers citoyens pour parer à toute éventualité. Dans la foulée, le Comptoir Saint-Vrac a diversifié son offre pour répondre à l’explosion des demandes et combler les besoins alimentaires de tous les villageois.
Un projet nourricier issu de la communauté
Vice-président du Comité de développement de Saint-Adrien, Jean-Pierre Chapleau tient d’emblée à préciser que le projet de Centre multiservice en alimentation est né de la communauté. « Le concept ne vient pas d’en haut, précise-t-il. Au Forum développement durable, on n’a rien inventé. On est allés faire valider un projet que des jeunes du village avaient déjà commencé à mettre sur pied. » L’initiative a en effet émergé d’un groupe de citoyens désireux de favoriser l’approvisionnement local à Saint-Adrien. Regroupés au sein de la Coopérative de solidarité du Marché au Cœur, ils ont eu l’idée d’un centre rassemblant sous un même toit l’épicerie de produits locaux le Saint-Vrac, un restaurant, une cuisine partagée et un point de chute pour les paniers bios. « Notre but, c’est de créer un système alimentaire à la grandeur de Saint-Adrien, précise Samuel Thibault, membre de l’équipe fondatrice du Marché au Cœur. Si on veut bien se nourrir, il faut se prendre en main et assurer la survie des petits producteurs afin qu’ils demeurent dans la région. »
« Autrefois, on avait une meunerie et une fromagerie à Saint-Adrien, mais on a tout reconcentré vers les grandes villes au détriment des économies régionales. C’est donc un retour vers des modèles plus anciens en intégrant la technologie pour faciliter le travail. » - Samuel Thibault
À la suite de la fermeture de la station-service et du casse-croûte du village, le conseil municipal a acquis le terrain qu’elle a décontaminé à ses frais et qu’elle compte remettre à la coopérative du Marché au Cœur pour la construction du Centre multiservice, une fois que cette dernière aura déposé son plan d’affaires au conseil et reçu son aval. « C’est vraiment un projet du village, alors on a pris une décision villageoise, souligne Claude Dupont. La municipalité donne le terrain, mais garde un droit de regard sur la façade parce qu’on veut que ce soit un projet wow qui répond aux normes de développement durable. »
Une production agroalimentaire locale et durable
Pour répondre le mieux possible à la demande de la population pour des aliments frais produits écologiquement et localement, le projet nourricier de Saint-Adrien se donne par ailleurs comme objectif d’augmenter et de diversifier la production destinée au marché local par une série de mesures bien concrètes. « Il s’agit de mettre en place ce qu’on appelle dans le jargon un système agroalimentaire territorialisé (SAT), précise Jean-Pierre Chapleau, mais à très petite échelle, celle de la communauté. La difficulté, c’est d’avoir une production locale suffisante et un équilibre dans l’approvisionnement. »
« En ce moment, notre structure en agriculture au Québec n’est pas faite pour satisfaire les besoins locaux. On a donc créé un comité de production pour penser des façons de lever les freins à la production locale et imaginer différentes solutions d’approvisionnement, comme proposer à des citoyens qui aiment jardiner d’écouler leurs surplus sur le marché local. » - Jean-Pierre Chapleau
Diplômé en gestion de restaurant et étudiant en agriculture biologique, Samuel Thibault déplore également les aberrations du système alimentaire actuel qui interdit aux plus gros producteurs de faire la mise en marché directement sans passer par le système de vente de quota. Il est toutefois confiant que les volets transformation et distribution du Centre multiservice inciteront les citoyens à développer de petites productions et encourageront les producteurs existants à adapter leur plan de production et de commercialisation au marché local. « On est physiquement au cœur du village, mais on veut aussi être au cœur du système alimentaire de Saint-Adrien et de la région, ajoute-t-il. On veut accompagner les producteurs, travailler avec eux pour produire des légumes qu’on va utiliser dans nos recettes au restaurant, assurer la transformation grâce à notre cuisine homologuée et mettre leurs produits en marché à l’épicerie. On compte également chapeauter les activités du marché fermier pour décharger les producteurs de cette organisation-là. »
« En tant que citoyen, il faut prendre conscience qu’en s’impliquant dans nos communautés, on peut recréer nos économies régionales et créer des milieux vivants qui reflètent les besoins et les désirs de la population. » - Samuel Thibault
Jean-Pierre Chapleau, qui est arrivé à Saint-Adrien dans les années 1970 pour faire l’élevage de reines d’abeilles, se réjouit que les valeurs de partage et d’autosuffisance qui animaient le mouvement des communes demeurent toujours aussi vivaces à Saint-Adrien. « Le rêve a continué, dit-il, un peu différemment, mais le dynamisme des réalisations dans le village crée un climat de cordialité et de solidarité où il fait bon vivre. » Évoquant la crise actuelle de la COVID-19, il ajoute à quel point la présence d’un réseau d’alimentation locale est sécurisante pour tous les citoyens. Samuel Thibault, pour sa part, espère que cette période d’incertitude nous encourage plus que jamais à repenser les systèmes alimentaires à la mesure des communautés. « C’est dans le chaos que les idées émergent, conclut-il. Souhaitons que ce chaos soit créatif et nous amène à repenser notre monde pour le rendre plus viable et résilient. »
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