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De la vie sociale des abeilles en passant par l’entretien des ruches, la fabrication du miel ou les rôles de la pollinisation, l’apiculture n’a plus de secrets pour les élèves de l’école primaire Richelieu, en Montérégie. Et pour cause : de la maternelle à la 6e année, ils ont tous la chance de suivre des ateliers d’apiculture pédagogique. Ateliers qui figurent parmi une kyrielle d’autres apprentissages offrant aux jeunes des expériences concrètes susceptible de forger leur esprit scientifique et développer leur écocitoyenneté.
Les élèves de l’école primaire Richelieu ne sont pas toujours conscients du caractère unique de leur établissement. Pour eux, il est tout à fait naturel que, à l’intérieur du périmètre de leur cour d’école, se dresse un bâtiment de deux étages, équipé d’une éolienne, d’un capteur solaire, d’un système géothermique, d’un toit végétal, d’une station météorologique, d’un récupérateur d’eau de pluie, d’une serre et bien sûr de ruches.
« Mes élèves pensent souvent que toutes les écoles primaires du Québec ont leur CIER. Alors, quand je leur dis que leur école est unique, ils sont très surpris, mais ça les rend fiers. » - Christine Derome, directrice de l’école Richelieu
Ce bâtiment de deux étages, c’est le Centre d’interprétation des énergies renouvelables (CIER). Mais, pour les élèves, c’est tout naturellement le prolongement de leur école, car il fait partie de leur quotidien. Le CIER est assez grand pour accueillir deux classes à la fois, sauf en temps de pandémie où une seule classe bulle est permise. C’est là que les jeunes apprennent, entre autres, à se familiariser avec l’apiculture. Mais où ils suivent aussi différents ateliers qui vont porter sur de nombreux sujets comme l’électricité, la chimie, les sciences naturelles, les énergies renouvelables, les roches et minéraux, l’agriculture urbaine, etc.
« À l’étage, explique Jean-Nicolas Desrochers, coordonnateur du CIER, c’est là où j’enseigne la partie théorique. Ensuite, les jeunes descendent au rez-de-chaussée, dans le laboratoire, où ils mettent en pratique leurs apprentissages. Car mon rôle, c’est de soutenir les professeurs dans l’enseignement des sciences. Alors je crée et j’anime des ateliers qui allient la théorie à la pratique. Parfois, ce sont les enseignants qui me demandent de créer un atelier dans le cadre d’une thématique particulière qu’ils souhaitent aborder cette année-là. Ensuite, ce nouvel atelier s’ajoute aux autres. J’en ai plus d’une cinquantaine en banque. »
Le laboratoire-école
Quand on demande à Jean-Nicolas si c’est déjà arrivé qu’un enfant se plaigne d’avoir été piqué, il répond du tac au tac. « Non. C’est arrivé qu’ils se soient fait piquer, mais ils ne se plaignent pas. Je leur fais tellement de mises en garde... C'est extrêmement rare que ça arrive. Ils sont surtout fascinés par les abeilles. Et le jeune qui a la permission d’enfumer la ruche, lui, il est content ! Alors ils sont tous très attentifs. »
Cet apiculteur aguerri porte de nombreux chapeaux. En plus d’être créateur et animateur des ateliers pédagogiques, il est aussi l’homme-orchestre du CIER. Habile bricoleur, il trouve des solutions inédites à tout. Il suffit qu'une enseignante décide d’initier les jeunes à l’aquaponie, pour que, quelque temps plus tard, Jean-Nicolas aménage dans la serre un module fonctionnel, principalement composé de matériaux recyclés, avec ses poissons et ses plantes.
« Ce sont les jeunes de 4e année qui sont responsables de notre petite ferme aquaponique, précise Jean-Nicolas. Ils mesurent la température de l’eau, son pH, sa dureté, les quantités de nitrate et d’ammoniaque... Et, ce faisant, ils se familiarisent avec le cycle de l’azote. Ils comprennent que l’ammoniaque des déjections de poissons est transformé en nitrite par une famille de bactéries, ce qu’une autre famille de bactéries transforme après en nitrate. Et ça, le nitrate, les plantes en raffolent. À la fin du cycle, l’eau, nettoyée de manière naturelle, est retournée aux poissons. Et ainsi de suite. »
Travailler comme une abeille
Nul ne sera surpris d’apprendre que le CIER bourdonne d’activités. Et c’est grâce aux nombreux bénévoles qui lui consacrent du temps. Sans l’aide d’un Michel, par exemple, Jean-Nicolas ne parviendrait pas à gérer les 22 ruches réparties sur le territoire de la municipalité ni à traiter toute la production des abeilles dans la miellerie du CIER.
Même principe avec la serre, qui ne saurait se passer du travail bénévole de la dévouée Hélène. Car si la serre est très bien équipée, avec ses capteurs de température, et ses volets qui s’ouvrent automatiquement dès que la chaleur atteint certains seuils, il lui manque toutefois un système d’arrosage automatique. Hélène peut donc facilement passer quatre heures à arroser les plants, sans compter tout le temps qu’elle consacre à la transformer du miel en confiseries.
Cette serre, comme tout ce qui se trouve au CIER, a bien sûr une vocation pédagogique. Mais, comme pour la miellerie, une partie de sa production est commercialisée afin de générer des revenus qui contribuent au roulement de l’organisme.
Un projet soutenu par la communauté
Lorsqu’on demande à Christine Derome quel est l’impact du CIER sur son école, la directrice répond sans hésiter que le centre donne la piqûre des sciences très jeune aux élèves, et qu’il leur inspire une grande conscience environnementale. Elle en veut pour preuve que, l’été, les moniteurs du camp de jour sont des jeunes de Richelieu, qui ont justement grandi avec le CIER, et qui reviennent transmettre leurs connaissances acquises et leurs valeurs écocitoyennes.
« Le CIER donne aussi aux parents et aux simples citoyens le goût de s’impliquer. Il attire des bénévoles passionnés et soucieux de perpétuer cette tradition. Ils sont fiers du CIER. Je pense que, pour la population de Richelieu, le CIER est aussi important que la bibliothèque ou le service de pompiers. » - Christine Derome
Cette fierté qu’éprouve la population à l’égard du CIER vient du fait qu’il est justement issu de la communauté. Président de la Fondation Jeunesse de Richelieu, Claude Gauthier raconte que tout a commencé en 2006, par une mobilisation en masse de parents comme lui. À l’époque, le terrain de la cour d’école, mal drainé, se transformait à la moindre averse en champ de boue. Des travaux majeurs s’imposaient. Pour les financer, Claude Gauthier a d’abord créé la Fondation et entrepris des démarches pour approcher différents partenaires. « Je me souviens, un matin, j’étais seul dans la cour d’école à 9 h du matin. On venait de livrer 25 000 pieds carrés de rouleaux de gazon. Je me suis dit que la journée allait être longue. Mais vers 10 h, les parents ont commencé à arriver. Et à 13 h, toute la cour était gazonnée ! »
Cette mobilisation a vite débouché sur la volonté d’aller au-delà de l’aménagement d’un simple parc-école avec de beaux modules de jeu. Tout le monde souhaitait que la cour acquière aussi une vocation pédagogique. Fort de sa formation en génie électrique, Claude Gauthier a alors proposé une thématique portant sur les énergies renouvelables. « C’était fou au départ, mais je me suis dit "think big". Et on n’avait pas le choix, parce que si on voulait construire un centre d’interprétation pour l’école, il fallait qu’il soit assez grand pour accueillir au moins une classe au complet. Et finalement, il peut en prendre deux ! Entre le moment où la Fondation a été créée et l’inauguration du bâtiment, il ne s’est écoulé que 18 mois. Tout ça grâce à une armée de bénévoles et le soutien de la communauté ! »
Renouveau pédagogique
Officiellement, au primaire, l’enseignement de la science commence en 3e année, précise Christine Derome. « Mais, avec le CIER, nous avons réinventé la manière d’apprendre les sciences, puisque les ateliers sont offerts de la maternelle à la 6e année. Pour les plus jeunes, c’est plutôt sous la forme d’un éveil aux sciences, mais, à partir de la 3e année, les ateliers sont pleinement intégrés au cursus scolaire pour venir le bonifier. »
« Le CIER fait partie du quotidien de nos élèves, ajoute-t-elle. Ce n’est pas comme une sortie qu’ils feraient de temps en temps dans un musée. C’est le prolongement de leur école. Un lieu où, en plus d’apprendre les sciences, ils prennent conscience de l’environnement et acquièrent le désir de s’impliquer. Et pour les professeurs, le CIER, c’est un partenaire de choix pour l’enseignement de la science. »
D’ailleurs, le CIER rayonne au-delà de l’école Richelieu. Des classes venues d’ailleurs peuvent s’inscrire aux ateliers de Jean-Nicolas, ce qui permet de générer des revenus qui contribuent au financement de l’organisme. Et si les autres écoles ne peuvent organiser de tels déplacements, alors c’est Jean-Nicolas qui prend la route avec son matériel pour aller présenter ses ateliers.
Toutes ces activités et ces services pédagogiques, en plus de la vente des produits de la miellerie et de la serre, et qui sont bonifiés par des petites subventions grappillées ici et là, permettent d’assurer le fonctionnement du CIER. C’est un exercice délicat, confie Christine Derome, et qui oblige tout le monde à se réinventer, chaque année. Mais, on peut sans doute compter sur le soutien des Richelois et Richeloises pour assurer la survie de ce joyau unique de la pédagogie au Québec. Et qui peuvent, sans équivoque, être fiers de leur CIER !
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